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Daumal (RDCC): À UNE ANCIENNE (AH’ LÀ LÀ) COMPAGNE

(RDCC)

Si les ombres ne sont pas plus dures que la chair ; Si tu pouvais les toucher sur les murs comme les huîtres de la pointe du couteau : elles poussent un grand cri leur clameur fait frémir la mer la mer et la peau de ton dos que j’accrocherai au mât de ma barque sanglant d’un côté, et noirci de l’autre par ta honte – ah ! si tu pouvais mettre le doigt entre ces cisailles si dures et si peu humaines qu’elles repoussent la main et qu’elles te rongent alors tu saignerais, ma vieille épouvante toi que j’ai formée du limon de ma peur tous les soirs qui se font tous les soirs qui me défont je sculpte un peu tes paupières ah ! les larmes qui jaillissent ah ! l’alarme et ma fusion et cette robe de prisonnière qui s’use seule dans un cachot pleine de ton vide et vide de ta forme et voici tu es plus réelle que moi et je ne t’ai pas reconnue nos dialogues deviennent puérils : — Bonjour ; ma belle tombe. — …………………………… — Bonjour, ma belle tombe. — …………………………… — Sésame ouvre-toi — …………………………… — Ouvre-toi, crève soupape, crève de lumière et montre-moi ton vrai visage, le creux des mondes, le creux des masques. Et tu réponds en épaississant ta chevelure et la nuit qui gonfle tes paupières, d’une voix d’orage qui n’éclatera jamais : — Et si je me retournais dans ma peau ? Si je montrais le fond de mon sac ? C’est toi le mort, c’est toi le bord du jour, ce sont tes yeux qui sont fermés pour toujours je regarde où tu crois ne pas voir ». Ah ! personne ne saura qui se trompe, d’elle ou de moi. Je n’en dirai pas plus, car c’est un sale mystère. J’ai fait des vains efforts pour m’exprimer. Tu m’as cloué le bec tu m’as mis cent kilos de nuit sur la nuque je t’ai créée non pas à ma mesure mais à la mesure de ma peur mais à la mesure de l’abîme où je suis un point noir tes yeux, tes yeux, j’ai cru les reconnaître dans la mer des ombres d’ombres où je crois rêver ou ne pas rêver je ne sais pas je n’implore pas pitié ton œil gauche m’a pleuré mais cette planète de cristal, ta larme, elle n’est pas retournée à la mer salée elle n’a pas voulu se perdre elle s’est couverte de suie je suis la suie ! et je suis une tache sur ta peau oh ! rentrer rentrer, ma peau noire brûlée, dans le soleil de ton œil droit 1) ce jour-là, ce jour-là n’est marqué dans aucun calendrier.

Poème publié dans la revue Port-des-Singes n° 6 (1978-1979).

1)
Si une femme avait vraiment un “regard assassin”…
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