Luc Benoist (Fortune:8-10) – Fortuna

Il convient à cet égard de distinguer les différents mots latins dont le sens est lié au mot destinée. Ce sont les mots providentia, fatum, fortuna et casus. Providentia signifie étymologiquement la voyance du futur, c’est-à-dire la prescience qui, supposant la suprême sagesse et la science infuse, a été prise pour caractériser la divinité elle-même. Fatum signifie, non pas ce qui a été prévu, mais ce qui a été dit et prédit (de fatuor = parler, prophétiser), notamment la parole divine (fas) transmise par voix oraculaire. Fortuna, c’est le destin individuel, qui correspond au mot grec tyche.

La part de fortune est un des éléments astrologiques dont les anciens tenaient grand compte, mais que les modernes négligent. Tandis que Ptolémée lui consacre trois pages, sur lesquelles nous reviendrons, les astrologues de la Renaissance, sauf Junctin qui a parlé de tout, n’en traitent pas spécialement. Villon dit même : « Cardan n’en fait pas grand cas et plusieurs la rejettent tout à fait ». Wilson, astrologue anglais réputé du début du XIXe siècle l’appelle « un fantôme conçu par le cerveau imaginatif de Ptolémée, qui n’a aucune influence, à moins que l’on n’en tire du néant ».

Or, dans un livre très remarquable sur L’Astrologie selon J. B. Morin de Villefranche, un astrologue connu M. Jean Hieroz remarque justement que l’on trouve mention de la part de fortune dans le livre de Manilius (Astronomicon, livre III, traduit au XVIIIe siècle par le génovéfain astronome Pingré) qui vivait avant Ptolémée.

En effet les anciens plaçaient la part de fortune au même rang que l’ascendant et les luminaires. C’était un des cinq significateurs de la méthode des directions. Et la défaveur où elle est tombée est liée à une dégénérescence de son sens premier. Aujourd’hui trop d’astrologues tendent à en diminuer l’intérêt et à en rétrécir la portée, en donnant au mot fortune le sens restreint que lui attribue le langage courant, c’est-à-dire qu’ils le considèrent comme synonyme du mot argent.

Il convient à cet égard de distinguer les différents mots latins dont le sens est lié au mot destinée. Ce sont les mots providentia, fatum, fortuna et casus. Providentia signifie étymologiquement la voyance du futur, c’est-à-dire la prescience qui, supposant la suprême sagesse et la science infuse, a été prise pour caractériser la divinité elle-même. Fatum signifie, non pas ce qui a été prévu, mais ce qui a été dit et prédit (de fatuor = parler, prophétiser), notamment la parole divine (fas) transmise par voix oraculaire. Fortuna, c’est le destin individuel, qui correspond au mot grec tyche. Fortuna a rapport avec le hasard, la chance, avec tout ce qui arrive de fortuit. Mais ce sort et cette chance n’étaient pas forcément favorables à l’origine. Et le mot demandait à être qualifié par un adjectif. C’est ainsi qu’à Rome, où son culte a rencontré le plus de faveur, la fortune reçut une multitude d’épithètes, aussi nombreuses que ses statues et ses temples.

Mais par suite d’une association psychologique bien naturelle, fortuna prit bientôt le sens exclusif d’événement heureux et fut assimilée à Cérès et à la Lune, c’est-à-dire aux richesses et aux moissons et prit comme attribut la corne d’abondance. Quant au mot casus, il signifie ce qui tombe (chance = cadentia = chute des dés) et il met particulièrement l’accent sur ce qu’il y a de plus imprévisible, de plus fâcheux dans le hasard.

Puisqu’il s’agit seulement ici de fortune, l’ancien français possédait un terme qui traduirait dans sa signification parfaite le sens premier du latin, c’est le mot « heur », qui signifiait jadis aussi bien un événement favorable que décevant et qui par l’adjonction de deux adjectifs nous a fourni les mots « bonheur » et « malheur ». Aujourd’hui le mot fortune s’est restreint par dégénérescence à devenir l’équivalent du mot argent et à désigner l’ensemble des biens matériels qui peuvent échoir à un homme.

L’expression « part de fortune » étant la traduction du latin pars fortunae, on doit lui restituer son ancienne signification,· si l’on veut l’interpréter correctement. On devra ainsi constater que loin d’être toujours favorable, elle peut, comme tout autre significateur astrologique, devenir l’indication d’une absence de chance. Elle donne, en somme, pour chaque nativité, le quotient de faveur que lui réserve le ciel, sans oublier ce qui arrive trop souvent, sa carence même. On comprend maintenant pourquoi cet élément astrologique a subi tant de vicissitudes, puisque lui attacher une unique signification favorable devait conduire forcément à des déboires.

A consulter les anciens astrologues on peut en effet inférer ce que nous avons dit. Mais il ME semble que ces auteurs supposaient chez les lecteurs une connaissance du sens des mots qui a forcément disparu dans une traduction. Et le souci de donner aux préceptes une application exclusivement humaine et immédiatement pratique, a voilé petit-à-petit la signification vraie du terme. Cependant si l’on avait fait attention à la manière d’obtenir la place de la part de fortune dans un thème, on aurait pu constater que seule la signification ancienne était valable.