ZOROASTRO – ZURVAN

Contribuição de Antonio Carneiro, extrato de Reflexions sur Zurvàn, Jean de MENASCE (Temps 183-185)- 6 p. In A Locust’s Leg – Studies in honour of S. H. TAQXZADEH, London, 1962, Percy Lund, Humphries & Co. Ltd.)

Comment se mesure le Temps? Par les mouvements des sphères, mais aussi par la durée humaine, par les âges de la vie. Or les textes syriaques nous rapportent comme autant d’attributs de Zurvân trois épithètes, dont on reconnaît facilement l’origine iranienne, qui signifient “celui qui rend brillant” (?), “celui qui rend viril”, “celui qui rend vieux”: c’est la synthèse de la vie, naissance, maturité, mort. Zurvân qui est en dehors de la création peut fort bien être dans le temps (durée indivise et moments divisés) qui est à la fois simultané à la création et en dehors d’elle. (On conçoit très bien, soit dit en passant, que l’espace ne puisse jouer le même rôle.) Zurvân, présidant au temps qu’il symbolise, on voit maintenant qu’il peut fort bien être premier sans être créateur: or c’est précisément là le caractère que M. Dumézil1 a reconnu à Vayu, dans le monde indo-iranien, à Janus bifrons dans le monde latin, et nul n’ignore les rapports étroits qui unissent Zurvân à Vayu. N’oublions pas en effet que Vayu, dieu atmosphérique, a par lui-même une affinité avec le temps lequel est toujours en rapport avec les mouvements célestes. Faut-il enfin tenir compte, ainsi que nous serions portés à le faire, de l’interprétation que M. Ghirshman2 donne d’un bronze du Louristan qui représente une divinité androgyne donnant naissance, d’une part, à une paire d’êtres identiques, de l’autre protégeant trois séries de petits personnages d’âges différents?

Le nom de Zurvân, nous dit un auteur grec, signifie le Sort, c’est à dire une réalité qui, si elle se réalise à travers le temps, le dépasse d’une certaine façon et le commande. D’autre part, notre bronze du Louristan, nos épithètes syriaques, nous rappellent l’aspect néfaste du temps, l’usure qu’il exerce sur les êtres vivants, et, au terme, la mort. Et nous voilà de nouveau contraints d’invoquer nos parallèles indiens. Dans l’épopée, Kâla, représentation divine du temps, joue un rôle nettement meurtrier: “Le puissant serpent qui repose auprès de la source, Kâla, c’est lui qui met fin aux êtres doués d’un corps”; “Kâla prend pour lui les âmes des êtres doués de corps selon la loi du temps”. Il y a trente ans Scheftelowitz, qui consacrait un livre au Temps comme divinité du sort dans les religions indienne et iranienne, concluait assez paradoxalement qu’il n’y avait aucun rapport entre Kâla et Zurvân, parce que la religion iranienne avait été dès le début dualiste. Or c’est précisément ce dualisme primitif qui est aujourd’hui en question. Le mythe de Zurvân ne contredit pas le dualisme en tant qu’il le laisse subsister (et même qu’il le runs to death) pour tout ce qui est du domaine de la création. Il l’annonce, mais il se place à un stade antérieur, à l’origine qui est avant les origines. Les généalogies divines ne doivent plus être, ce qu’elles ont été longtemps à nos yeux, des projections des généalogies humaines: pour les usagers du mythe il subsiste, semble-t-il, une diversité radicale entre prologue au ciel et prologue sur la terre, et cela s’accorde merveilleusement avec la dichotomie temps indivis et temps mesuré. Quel meilleur commentaire de la doctrine iranienne du Primordial indéterminé et du Temps ambivalent que ce fragment indien que cite Scheftelowitz: “En vérité il y a deux formes du Brahman: le temps et le non-temps. Ce qui existait avant le soleil, c’était le non-temps, l’indivisible; ce qui a commencé avec le soleil, c’est le temps, le divisible”?

  1. De Janus à Vesta, dans Tarpeia, Paris, 1947. []
  2. “Notes iraniennes VIII” dans Artibus Asiae 21 (1958), 37 sq.[]