Corbin (Avicena:39-41) – le symbole et l’allégorie

La rigoureuse connexion du symbole avec le symbolisé distingue au mieux le symbole de l’allégorie, car il est impossible de briser cette connexion, de l’étendre et de la disperser en un réseau infini de significations, en ne faisant, au mème niveau de l’être et sur le mème plan spirituel, que substituer au déjà exprimé quelque chose qui pourrait toujours être exprimé autrement. Transmutation du sensible et de l’imaginal en symbole, retour du symbole à la situation qui le fit éclore, ces deux mouvements ouvrent et referment le cercle herméneutique. C’est pourquoi, si l’exégèse des symboles ouvre en hauteur et en profondeur une perspective peut-être sans limite, ce n’est là nullement une regressio ad infinitum sur le mème plan de l’être, ainsi qu’un entendement rationnel pourrait en formuler l’objection (3). Cette objection trahirait une méconnaissance profonde de ce qui différencie la propriété d’un symbole et la généralité d’une allégorie, l’éclosion d’une vision symbolique et la cristallisation d’une pensée en un dogme. Il ne s’agit ni de substituer au symbole une explication rationnelle, ni de fixer en un énoncé dogmatique l’évidence rationnelle ainsi obtenue par réduction. Il s’agit d’atteindre à ce qui fut l’expérience de l’Âme chez une âme, de pressentir à quoi tend — non pas de déduire causalement d’où vient — l’Événement qui s’appelle « wilâdat-e rûhânî », naissance spirituelle.

Notes:

(1) C’est une question très actuelle pour l’herméneutique en général, cf. Jean Daniélou, Origène, Paris 1948, PP. 145 ss. (sur les confusions commises à l’égard d’Origène, entre typologie et allégorie); G. G. Scholem, Les grands courants de la mystique juive, trad. M.-M. Davy, Paris 1950, PP. 39-41; notre étude sur Rituel sabéen et Exégèse ismaélienne du rituel (Eranos Jahrbuch xix), Zurich 1951, PP. 230 ss.

(2) D’où le titre persan choisi pour le présent ouvrage dans l’édition réservée à la Collection du Millénaire, « tamthîl-e ‘˜erfânî (typification de la gnose).

(3) Cette objection a été formulée par le commentateur persan de Hayy ibn Yaqzân, cf. notre trad. p. 23 et nos Notes et Gloses PP. 78-79 n. 61-64; comparer notre Étude préliminaire pour… Nâsir-e Khosraw, PP. 70 ss. (sur le ta’wîl comme exégèse symbolique).