Ibn Sînâ (nom transformé en Aven Sînâ dans les traductions hébraïques, puis en Avicenne dans les traductions latines) compte parmi les nombreux Iraniens rattachés à la littérature arabe parce qu’ils écrivirent leurs plus importants ouvrages en cette langue. Il naquit aux environs de Bokhara (980) et passa sa jeunesse dans l’étude. D’une intelligence surprenante, il acquit presque en se jouant la connaissance des sciences alors connues. Mais la lecture qu’il fit des œuvres du philosophe arabe al-Farabi, vers l’âge de 17 ans, décida de son activité intellectuelle, désormais partagée entre médecine et philosophie. A la mème époque, il guérit d’une maladie le prince samanide Nouh ben Mançour — ce qui décida de sa fortune — et se mit à écrire. Résidant successivement à la cour des princes de Djordjân, de Reyy, de Hamadhân et d’Ispahan, il fut deux fois vizir. Son existence agitée ne l’empècha point de composer une série d’œuvres, dont certaines (rédigées en arabe) — le Qânoun fî’t-tibb, encyclopédie médicale, et le Kitâb as-Chifâ, encyclopédie philosophique comprenant les sciences exactes et les sciences sociales — sont des monuments de l’esprit humain, à la fois par la vigueur de la pensée et par la ferme netteté du style. Avec l’iranien Bîrouni, Avicenne se tient au point culminant du moyen âge islamique, le premier par ses talents d’observateur méthodique, le second par son extraordinaire capacité de raisonnement et de composition. L’influence médicale d’Avicenne se fit sentir en occident jusqu’au XVIIe siècle ; l’orient la subit encore. En métaphysique, il tenta d’accommoder la théologie musulmane avec la métaphysique d’Aristote à laquelle s’ajoutent des éléments néoplatoniciens ; sa théorie de l’âme le conduisit à la mystique — non doctrine de renoncement dictée par le cœur, comme plus tard celle de Ghazali, mais doctrine d’illumination intérieure due à la raison, donc de caractère néoplatonicien ; cette mystique lui inspira un poème et plusieurs opuscules arabes fort remarquables.
En langue persane, on lui attribue plusieurs robâ’î — forme littéraire très favorable à la concentration de sa pensée. D’autre part, dans les dernières années de sa vie, résidant à la cour de Alâ-od-Dowla, prince bouïde d’Ispahan, il écrivit sur son ordre un résumé persan de sa philosophie : Hekmat-è-Alâï ou Daneschnâmè-yè Alâï (La philosophie à Alâ), édité à Téhéran, dont l’extrait suivant définit le contenu. Au cours d’une expédition que le prince bouïde mena contre Hamadhan, Avicenne tomba malade et fut inhumé dans cette ville (1037). Le temps a respecté le tombeau de ce grand homme.
Anthologie persane (XI-XIX siècles)
Henri Massé
Payot, Paris, 1950
Avicenne – Extraits