Pour dégager le paradoxe que je vise ici, il serait indiqué de nous attacher d’abord à certains aspects de la pensée judéo-biblique qui est notre sœur aînée à tous. Il y aurait à préciser la portée que l’enseignement ésotérique donne à l’emploi du mot « Dieux » au pluriel, à une expression fréquente telle que « les fils de Dieu », au verset du Deutéronome 10/17 : « Le Seigneur votre Dieu est le Dieu des Dieux, le Seigneur des Seigneurs ». Il y aurait à insister sur l’angélologie des Esséniens et l’ensemble des livres d’Hénoch, sur l’Ange de YHWH, sur le Chérubin sur le Trône, l’Ange Métatron, l’Ange de la Face, les Sephirot, la Kabbale ancienne et la tardive, etc. Seuls nos confrères kabbalistes juifs peuvent faire face à la complexité de cette angélologie et de cette cosmologie. On se rappellera comment Fabre d’Olivet traduisait le nom Elohim, au début de la Genèse : « Lui-les-Dieux, l’Être-des-ètres ». Mais il y aurait aussi à rappeler les vastes systèmes de la Gnose, depuis la Gnose primitive jusqu’aux Kabbalistes chrétiens, sans oublier, en passant, l’opinion de certains Pères grecs de l’Eglise pour qui le christianisme trinitaire était à égale distance du monothéisme et du polythéisme. Nous n’en avons malheureusement ni le temps ni la place. Je ME limiterai donc au domaine de la gnose et de la théosophie islamiques, dont j’ai déjà traité ici à Eranos. Certes, nous en constaterons pour finir les retombées sur les domaines voisins, et la comparaison sera du moins ainsi amorcée.
Lors donc que je parle du « paradoxe du monothéisme », je vise avant tout la situation telle qu’elle a été vécue et surmontée par les gnostiques et théosophes de l’Islam, tout particulièrement par l’École du grand théosophe visionnaire Mohyîdîn Ibn Arabi (ob. 1240). Ce paradoxe, je le récapitule très brièvement, tel que nous pouvons en dégager les trois phases d’après Ibn Arabi lui-mème et ses continuateurs. Je ferai spécialement appel ici à Sayyed Haydar Âmolî (ob. post 785/1385) qui fut à la fois le critique et le plus grand des disciples shî’ites d’Ibn Arabi. Nous avons ici mème, à plusieurs reprises, traité de son œuvre considérable.