Śaṅkara: l’ignorance

Français

1. Cet « être-le-soi-de-tout » est l’état de conscience le plus élevé du Soi, son état naturel suprême. Mais quand, avant cela, on se sent être autre que le Soi de tous, même par la largeur d’un cheveu, cet état est ignorance [avidyā]. Quels que soient les états de conscience, de la nature du non-soi, établis par la ignorance, ils ne sont pas l’état suprême, aucun d’eux. En comparaison avec ces états, « être-le-soi-de-tout », être tout, à l’intérieur et à l’extérieur, est l’état le plus élevé du Soi. Par conséquent, quand l’ignorance disparaît et que la connaissance atteint son sommet, « être-le-soi-de-tout » survient, et c’est la libération …

Les résultats de ces deux notions, connaissance et ignorance, sont respectivement «être-le-soi-de-tout» et «être-de-une-nature-limitée». Par la connaissance, on devient le Soi de tout. Par l’ignorance on devient fini. On devient coupé des autres. Étant coupé, on se trouve opposé. Opposé, on est frappé, dominé, dépouillé. Cela arrive parce que, étant dans le royaume du fini, on devient différent [des autres]. Mais quand on est le tout, comment peut-on être différent des autres que n’importe qui pourrait s’opposer à lui? Et s’il n’y avait pas d’opposition, comment pourrait-il être frappé, maîtrisé et dépouillé?

Ceci, par conséquent, est l’essence de l’ignorance. Cela amène à concevoir ce qu’est le Soi de tout comme n’étant pas le Soi de tout. Il met en place [l’apparition de] d’autres choses contre le Soi, qui n’existent pas vraiment. Cela rend le Soi fini. D’où le désir de ce dont on est séparé. Parce que l’on est séparé et ressent le désir, on recourt à l’action. De l’action suivent conséquences [phala], c’est ce qui est affirmé ….

Ainsi, l’essence de l’ignorance a été indiquée, ainsi que ses résultats. Et le résultat de la connaissance [vidyā] a aussi été montré implicitement comme étant « devenir-le-soi-de-tout », comme c’est le contraire de l’ignorance. Et cette ignorance n’est pas une propriété [dharma] du Soi. Par conséquent, lorsque la connaissance augmente, l’ignorance diminue automatiquement. Et quand la connaissance atteint son zénith, on s’installe dans « être-de-soi-même » et l’ignorance cesse complètement, comme la notion erronée d’un serpent dans une corde cesse complètement lorsque la corde est déterminée de façon déterminante. Et ainsi il a été dit: « Quand tout est devenu notre Soi, alors à travers ce que nous pouvions voir? » Par conséquent, l’ignorance n’est pas une propriété naturelle du Soi. Car ce qui est une propriété naturelle de tout ne peut jamais être éradiqué, comme la chaleur et la lumière dans le cas du soleil. Par conséquent, il peut y avoir libération de l’ignorance.


Original

1. This ‘being-the-Self-of-all’ is the highest state of consciousness of the Self, His supreme natural state. But when, before this, one feels oneself to be other than the Self of all, even by a hair’s breadth, that state is nescience [avidyā]. Whatever states of consciousness, of the nature of not-self, are set up by nescience, they are not the supreme state, any of them. In comparison with these states, ‘being-the-Self-of-all’, being all, within and without, is the highest state of the Self. Therefore, when nescience falls away and knowledge attains its summit, ‘being-the-Self-of-all’ supervenes, and this is liberation….

The results of these two, knowledge and nescience, are ‘being-the-Self-of-all’ and ‘being-of-a-limited-nature’ respectively. Through knowledge one becomes the Self of all. Through nescience one becomes finite. One becomes cut off from others. Being cut off, one finds oneself opposed. Being opposed, one is struck, overpowered, stripped. This happens because, being in the realm of the finite, one becomes different [from others]. But when one is the all, how can one be different from others that anyone could oppose him? And if there were no opposition, how could he be struck, overpowered and stripped?

This, therefore, is the essence of nescience. It causes one to conceive what is the Self of all as not the Self of all. It sets up [the appearance of] other things over against the Self, which do not really exist. It makes the Self to be finite. Hence desire arises for what one is separated from. Because one is separated and feels desire, one resorts to action. From action follow consequences [phala], this is what is being affirmed….

Thus the essence of nescience has been indicated, together with its results. And the result of knowledge [vidyā] has also been shown implicitly to be ‘becoming-the-Self-of-all’, as it is the opposite of nescience. And this nescience is not a property [dharma] of the Self. Therefore, when knowledge increases, nescience automatically diminishes. And when knowledge reaches its zenith, one becomes established in ‘being-the-Self-of-all’ and nescience ceases entirely, as the erroneous notion of a snake in a rope ceases altogether when the rope is determinately known. And so it has been said, ‘When all has become one’s own Self, then through what could one see what?’ Therefore nescience is not a natural property of the Self. For what is a natural property of anything can never be eradicated, like heat and light in the case of the sun. Therefore there can be liberation from nescience.

Sankara (séc. VIII)