Schuon: la croix

Dans la catégorie formelle, une figure de première importance est la croix, laquelle est le symbole même de la symétrie sous le double rapport de la verticalité et de l’horizontalité. Verticalement, la symétrie exprime l’opposition ; horizontalement, elle exprime la complémentarité. A un autre point de vue, la ligne verticale représente la projection créatrice ou le prolongement cosmogonique, ou encore — et par là même — la totalité universelle, la juxtaposition Âtmâ-Mâyâ ; quant à la ligne horizontale, si elle représente tout d’abord les différenciations existentiellement équivalentes bien que fonctionnelle-ment inégales, elle comporte également des incompatibilités telles que les oppositions morales ou esthétiques1. A rigoureusement parler, l’axe vertical oppose les « degrés » — mais ce mot risque d’être impropre — tels que l’absolu et le relatif, le principe et la manifestation, l’essentiel et le formel, le substantiel et l’accidentel et même, cuni grano salis, l’être et le néant ; tandis que l’axe horizontal oppose les « modes », tels que l’actif et le passif, le dynamique et le statique, le rigoureux et le doux, et caetera. N’empêche que les modes se trouvent nécessairement préfigurés sur l’axe vertical, comme inversement les degrés se reflètent nécessairement sur l’axe horizontal ; ce qui dans chaque cas — mutatis mutandis — confère une portée nouvelle aux éléments envisagés. Et ceci est un principe de première importance : toute chose que nous distinguons d’avec le Souverain Bien, soit le prolonge soit s’oppose à lui ; ceci, du moins, en apparence car rien ne saurait s’opposer réellement à Dieu. (Avoir un centre)


  1. Pour ce qui est des symboles géométriques d’une manière générale, ajoutons que la « tridimensionnalité » rend le symbolisme plus complexe en introduisant dans le plan horizontal le subjectif et l’objectif, l’initial et le terminal, bref des pôles se référant à l’expérience, à la transition, au devenir. 

Frithjof Schuon