Wieger: Bouddhisme chinois. Esquisse historique.

Quoi qu’il en soit des contacts possibles, probables, plus anciens, l’établissement officiel et durable du Bouddhisme en Chine, date de l’an 65 de l’ère chrétienne, l’empereur Ming-ti de la dynastie Heou-Han ayant fait quérir des moines, qu’il établit à la capitale Lao-yang. La traduction des livres bouddhiques commença aussitôt. Jusqu’à la fin de la dynastie, en 220, les traducteurs indiens kouchans partites et touraniens, furent à l’œuvre. Si le résultat littéraire fut assez important, le succès de la propagande paraît avoir été plutôt faible, vu l’opposition des Lettrés. — Durant la période troublée des Trois Royaumes, 220 à 280, les traducteurs ne chômèrent pas. Deux des trois royaumes, Wei et Ou, leur furent hospitaliers. Nous retrouvons, dans l’index du Tripitaka, des Indiens, des Kouchans, des Afghans, des Parthes, des Touraniens, venus en Chine pour propager le Bouddhisme, lequel ne fit toujours que peu de prosélytes, l’opposition étant vive et la protection manquant. — Enfin des protecteurs se trouvèrent, vulgaires, mais puissants. Ce furent les roitelets huns (turcs) du royaume Tchao, établi dans la Chine du nord, alors que la dynastie impériale Tsinn était presque totalement refoulée au sud du Fleuve Bleu. p.109 Plus qu’indifférents à l’égard des Lettrés confucianistes, bien servis d’autre part par quelques moines bouddhistes, ces demi-sauvages donnèrent en récompense à ces derniers, en 335, un édit de tolérance, permettant aux Chinois de leurs domaines d’embrasser le Bouddhisme. Les prosélytes vinrent avec la faveur. — Dans les provinces soumises aux Tsinn, l’œuvre de traduction continuait, les moines indiens kouchans afghans parthes et touraniens affluaient, les couvents se multipliaient. Vers cette époque, les moines chinois commencent à paraître dans les catalogues. — Puis un centre de Bouddhisme très actif s’ouvrit à Tch’ang-nan dans le royaume de Ts’inn, et un autre dans le royaume de Leang, dans les Nan-chan. Ce dernier royaume, situé à l’extréme Ouest, servit de trait d’union entre la Chine et l’Inde, via Tarim Kotan. La communication étant établie, les pèlerinages des moines chinois aux lieux saints du Bouddhisme commencèrent. Fa-hien, parti de Tch’ang-nan en 399, revint en 414. — Bref, l’invasion étrangère, le morcellement de l’empire, et la décadence du Confucianisme qui s’ensuivit, furent on ne peut plus favorables au Bouddhisme, qui ne se serait peut-être jamais répandu comme il fit, si l’empire un avait été aux mains des Lettrés. L’histoire officielle confesse que, en 405, dans la moitié septentrionale de la Chine, neuf familles sur dix professaient le Bouddhisme. — Dès 372, le Bouddhisme avait passé de la Chine septentrionale en Corée, et y avait été accepté avec enthousiasme, comme doctrine chinoise. — Le bon effet de la division continua, s’accentua même, sous les quatre petites dynasties impériales Song, Ts’i, Leang, Tch’enn, qui succédèrent aux Tsinn. Quand les Bouddhistes étaient proscrits quelque part, comme cela arriva en 444 par exemple, dans le royaume tongouse des Yuan-Wei, ils étaient aussitôt bien reçus autre part. D’ailleurs ces épreuves ne duraient guère, et étaient toujours suivies d’une recrudescence de faveur. C’est que le Bouddhisme était aimé du peuple, dont les Lettrés avaient laissé les âmes sans pain. L’histoire officielle avoue, bien à contre-cœur, que pratiquement, en l’an 500, la Chine entière, nord et sud, était bouddhiste. Ni les Lettrés, ni les gouvernants, ne purent plus rien contre cette force. — Dès le cinquième siècle, les écoles bouddhiques se dessinent. Mieux que cela, la morale bouddhique forme les consciences et adoucit les mœurs d’un peuple fourbe et cruel. — Au sixième siècle, l’empereur Ou-ti des Leang, fait faire la première collection du Tripitaka chinois (517), puis se fait moine (527). — C’est sur le peuple bouddhiste, que Yang-kien s’appuya, pour restaurer l’unité de l’empire, et il réussit. Aussi, sous les Soei, le Bouddhisme régna-t-il en maître. En moins de vingt ans, trois éditions successives du Tripitaka, virent le jour. Il y avait, dit l’histoire officielle, parmi le peuple, mille livres bouddhistes, contre un livre confucianiste. — En 552, le Bouddhisme passa de la Corée au Japon, où il fit fureur. — En Chine, durant le sixième siècle, les trois grandes écoles bouddhiques (IX T en 529, K en 563, P en 597) s’implantèrent solidement. Deux autres écoles (IX O en 660, M en 645) s’y ajoutèrent au septième siècle, durant lequel le grand moraliste Tao-suan exerça aussi son active et bienfaisante influence (IX Q). — Au commencement des T’ang, les Lettrés obtinrent (en 626) qu’on appliquât p.110 aux Bouddhistes des mesures de rigueur. Cela ne dura pas. Sous l’impératrice Ou-heou (690), ils furent au comble de la faveur. En l’an 740, dans la seule ville de Tchang-nan, on compta 61 couvents bouddhistes d’hommes, et 27 de femmes. Deux éditions du Tripitaka furent faites en 35 ans. — En 768, le moine Amogha, le propagateur du Tantrisme (IX S), favori de l’empereur, marchait de pair avec les ministres, et l’engouement pour le Bouddhisme était tel, qu’en une seule séance, à la capitale, on recevait mille novices. — En 845, à l’instigation des Taoïstes, l’empereur Ou-tsoung supprima d’un coup, par édit, 4 600 couvents, et laïcisa 260 500 moines et nonnes. Deux ans plus tard, en 847, sous l’empereur Suan-tsoung, la roue ayant tourné, tous ces dégâts étaient réparés avec usure. Et ainsi de suite, au cours des temps. Le Bouddhisme chinois fit preuve, à travers les siècles, d’une vitalité extraordinaire. C’est qu’il avait pour lui tout le peuple. Rien n’est plus faux, que de croire, que le peuple chinois ait jamais été confucianiste. La vérité est que les Lettrés, qui méprisèrent toujours le peuple, n’eurent sur lui presque aucune influence. — De là vient que, jusque dans les temps modernes, chaque fondateur de dynastie crut devoir faire les frais d’une nouvelle édition du Tripitaka, pour s’attacher, par cet acte de dévotion vraie ou simulée, les moines, et par eux le peuple bouddhiste. Le premier empereur des Song, s’exécuta en 972 ; le fondateur des Yuan, en 1285-1287 ; celui des Ming, en 1368. — Si la dynastie mandchoue des Ts’ing, fut plutôt froide à l’égard des Bouddhistes, parce que, devant sa fortune aux Lettrés, elle dut faire la cour à ceux-ci plus qu’aucune dynastie chinoise n’a jamais fait ; elle ne put tout de même pas se dispenser de faire quelque chose pour la religion populaire, qui est aussi sa religion de famille. Elle aussi fit son édition du Tripitaka, 1735-1737. — Sans doute, il ne faudrait pas croire, qu’en Chine tout homme du peuple sait réciter son catéchisme bouddhique. Mais, s’il n’en possède pas la lettre, l’homme du peuple chinois en a pris l’esprit, ce qui est plus. S’il se trouve, dans la Chine actuelle, quelque morale, quelque piété ; quand on va aux sources, c’est toujours d’un fond de Bouddhisme que cela découle. Le Confucianisme n’a jamais produit que des politiciens imbéciles. Pris en masse, les Taoïstes ne sont qu’un ramassis de canailles. Reste le Bouddhisme, pour les âmes de bonne volonté, lesquelles, sous une forme ou sous une autre, attendent Maitreya le Bouddha futur, et sont souvent amenés, par cette attente, dans le bercail du vrai Messie.