- Yann Richard
- Whinfield
Yann Richard
AU NOM DE DIEU LE CLÉMENT LE MISÉRICORDIEUX
« Ma louange ne parvient pas jusqu’à Toi »1. Or, si « toute louange remonte à Toi », Ta sainte Seigneurie resplendit bien au-dessus de ma louange, car Tu es tel que Tu T’es louangé Toi-même.
Seigneur ! Nous n’arrivons pas à articuler Ta louange, et à proclamer Ta gloire jusqu’à Ta hauteur. Tout ce qui, dans le livre de la création, est louange et glorification, renvoie à Ta majesté et à Ta grandeur. Que peuvent exprimer nos mains et nos lèvres en action de grâces et de louange qui Te convienne ? Toi-même Tu dis comment Tu es. Le joyau qui Te rend hommage est celui que Tu as Toi-même taillé.
Quatrain
Le monde n’est qu’une goutte de l’océan de Ta générosité.
N’est-il pas au-dessus de nos forces de Te louer ?
Seule Ta propre louange est digne de Toi.
Là où celui qui a proféré 2 « Je suis le meilleur orateur » a baissé l’étendard de l’éloquence et s’est avoué incapable de proférer Ta louange, comment un bègue pourrait-il ouvrir la bouche, et comment peut-il oser parler celui dont l’esprit n’est pas clair ? Ici, l’impuissance même consiste à avouer sa faiblesse et son impuissance : et chercher à partager le rang de ce Prince de la Religion et du monde, c’est manquer à tous les usages.
Quatrain
Par mes passions je ne peux prétendre que partager le
[sort de Ses chiens
Je sais. Je n’arriverai pas jusqu’à Sa suite.
Que parvienne au moins à mon oreille le grelot lointain
[de Sa caravane !
Ô Dieu bénis Mohammad, qui porte l’étendard de la louange et possède l’« état glorieux »3, ainsi que sa Famille et ses Compagnons qui ont obtenu par leur persévérance les faveurs auxquelles ils aspiraient. Donne-leur en abondance Ton salut !
Invocations
Dieu, ô mon Dieu, délivre-nous de l’empire des vanités et fais-nous voir dans leur quiddité la réalité ontologique des choses !
Ôte de nos yeux ces œillères d’insouciance, et montre-nous les choses comme elles sont. Ne nous montre pas le néant sous la forme de l’être. Ne mets pas le voile du néant sur l’éclat de l’être, et fais, de ces formes imaginales, non une cause de dissimulation et de distance, mais des miroirs épiphaniques de Ta beauté ! Transforme ces figures imaginaires en capital de savoir et de vision, non en instrument d’égarement et d’aveuglement.
Notre aliénation et notre éloignement [de Toi] viennent de nous seuls. Que Ta munificence nous délivre de nous-mêmes, et nous donne de Te connaître.
Quatrain
Donne-moi les sanglots du crépuscule et les larmes de
[l’aube !
Dans la voie qui mène à Toi, arrache-moi d’abord à mon
[ego!
Alors, délivré de moi-même, donne-moi accès à Toi !
Quatrain
Et éloigne-moi de la société des humains !
Détourne mon cœur de tout autre que Toi !
Fais-moi tout entier l’amoureux exclusif de Toi !
Quatrain
[— pourquoi pas ?
ME guider vers la Connaissance mystique
[— pourquoi pas ?
Dans Ta bonté Tu as converti tant de guèbres 4 à l’Islam :
Tu ferais [de moi] un musulman de plus… pourquoi
[pas ?
Quatrain
Accorde-moi la couronne de pauvreté !
Dans cette quête, fais-moi le confident de Ton mystère !
Et détourne-moi de toute voie qui ne conduit pas vers
[Toi!
Avant-propos
Voici un traité intitulé « Illuminations » [Lavâyeh], dans lequel on présente les connaissances discursives et intuitives qui ont illuminé les Tables des mystères 5 et les esprits des maîtres spirituels et des mystiques. On y trouvera les mots appropriés, et des formules bien tournées. Il est souhaitable que l’existence de l’auteur de ce discours y soit indiscernable, et que le lecteur ne se complaise pas à la critique et au dénigrement : l’auteur n’a en effet ici d’autre rôle que d’interpréter [tarjomâni], et seul le style du discours peut lui être attribué.
Quatrain
Rien n’advient de rien et de moins que rien.
Sinon du dire lui-même je n’ai aucun mérite
Chaque fois que je dis l’un des mystères de la Réalité.
Quatrain
En affaire d’amour, mieux vaut être muet.
Pour qui n’est pas initié à la mystérieuse saveur de
[l’Être [vojud] Mieux vaut en parler comme un simple interprète.
Quatrain
[précieuses
Pour embellir une tradition venue de haute source.
Qu’on m’ignore, moi qui ne suis rien — mais que des
[gens sûrs
Fassent parvenir ce présent au Roi de Hamadân 6!
Whinfield
- Un dit du Prophète. Cf. Wensinck, I, p. 305, 47-50, Muslim Salât’, 222. Ibn Hanbal, Musnad, I, 96.[↩]
- Le Prophète, meilleur orateur des Arabes.[↩]
- Al-maqâm al-mahmud, Coran, XVII, 81/79. Litt. « station louangée ».[↩]
- Les guèbres, ou zoroastriens, dont la religion était le culte officiel de l’Iran avant l’islam, encore présents aujourd’hui en Inde et en Iran.[↩]
- Alvâh-e asrâr. Jeu de mots sur « Lavâyeh » et « alvâh » [pl. de lowh] qui sont de racine semblable. Lowh est la « table bien gardée » sur laquelle sont inscrits éternellement les mystères du monde.[↩]
- Probablement Sâh Manucehr, qui gouvernait Hamadân [l’ancienne Ecbatane, petite ville à l’ouest de l’Iran] lorsque Jâmi y passa en 877/1473. Voir l’Introduction. Il y a un jeu de mots sur le nom, « hamadân » voulant dire « qui sait tout » : le Roi saura bien qui je suis ![↩]
- A saying of Muhammad[↩]
- Fluegel [Haji Khalfa, v 844] translates, ‘Quomodo possim ?’ CP Surah, xvii 46, ‘Neither is there aught which doth not celebrate Thy praise,’ and Ps cxlv 10[↩]
- Referring to the saying, ‘I am the most eloquent of those who pronounce the letter Zād [Dzād],’ the Arab shibboleth.[↩]
- ‘It may be, O Muhammad, that thy Lord will raise thee to a glorious station’ [Koran, xvii 81], interpreted to mean, his power of intercession[↩]
- The headings are all omitted m this manuscript, but spaces are left, which were probably intended to be filled in with gold lettering.[↩]
- A prayer ascribed to Muhammad See ‘ Gulshan i Bāz,’ p 21, note 1[↩]
- The divine Real Being is reflected in ‘Notbeing ’ [adm] as in a mirror, and gives it all the reality it possesses See 4 Gulshan i Rāz,’ p. 14,1 134, This idea comes from Plotinus, ‘the Shaikh of the Greeks’[↩]
- Haji Khalfa [v , p. 344] says Sayyid Kāseh Karrānī wrote a Persian commentary upon it.[↩]
- The person referred to is probably Shah Manuchahr, Governor of Hamadān, who paid much attention to Jāmī when he visited the town in 877 AH See Lee’s preface to the ‘Nafahāt,’ p 11 Note the pun on ‘Hama Dān’ [‘All knowing’]. Amīr Sayyid ‘All of Hamadan, a Sūfi saint, is mentioned in the ‘Nafahāt,’ p 515, but as he died in 786 AH, it is not likely that Jāmī is speaking of him.[↩]