Saint-Martin: La chute

Je n’ai peint l’homme ici que relativement à son état originel. Si je le veux peindre relativement à l’usage faux et coupable qu’il a fait de ses droits, ce beau privilège qu’il avait de recommencer Dieu, va s’évanouir ; et au contraire il nous faudra dire que depuis cette funeste époque, Dieu a été obligé de recommencer l’homme, et qu’il le recommence tous les jours.

Car ce n’est pas seulement à l’instant de sa chute que Dieu a été obligé de recommencer l’homme, ou de renouveler son contrat divin avec lui, c’est encore à toutes les époques des lois de restauration qu’il nous a envoyées, et qui chacune devenant comme inutile par le peu de respect que nous portions à ses présents et par le peu de fruits que nous en tirions, avait besoin d’être remplacée par une autre époque plus importante encore que la précédente ; mais qui ne voyait naître de notre part que de nouvelles profanations, et qui par là nous retardait d’autant, au lieu de nous avancer, et sollicitait de nouveau l’amour divin de nous recommencer.

Sans cela cet univers visible dans lequel nous sommes emprisonnés, serait depuis longtemps enseveli de nouveau dans l’abîme d’où l’amour suprême l’avait tiré.

Du crime, l’Homme avait passé dans les ténèbres. Des ténèbres, la bonté suprême le fit passer dans la nature. De la nature, elle l’a fait passer sous le ministère de la loi. Du ministère de la loi, elle l’a fait passer sous le ministère de a prière, ou de la loi de grâce qui aurait pu tout rétablir pour lui.

Mais comme le sacerdoce humain a souillé cette voie, ou l’a rendue nulle, il faut qu’elle soit suspendue à son tour et que l’action vive et violente la remplace, comme la prière ou la loi de grâce a remplacé la loi dont les Juifs avaient abusé ; et c’est dans cet esprit de sagesse et toujours bien faisant, que l’amour suprême dirige ou laisse arriver tous ces événements lamentables dont l’homme terrestre murmure en oubliant que ce sont ses propres crimes qui les occasionnent, et qui bouleversent la terre, tandis qu’il était né pour tout pacifier et tout améliorer.

Louis-Claude de Saint-Martin