« TOUT ce qui est glorieux sera recouvert d’un voile » (Isaïe, IV, 5). « Il n’est rien de caché qui ne doive être découvert, rien de secret qui ne doive être connu » (Luc, XII, 2). Dans ces deux paroles, s’inscrit le destin de toute connaissance : c’est le destin de l’ombre d’appeler la lumière. Le Livre des Proverbes le confirme : « Cacher les choses c’est la gloire de Dieu, les sonder c’est la gloire des rois. » Les rois, ce sont les hommes. Dans leur conquête de la lumière, les hommes proclament la mort de Dieu. Cependant se faire dieux est aussi l’ambition des rois, et leur victoire sur l’ombre, toute l’histoire des hommes l’enseigne, n’est que la projection d’une ombre nouvelle. Comme si Dieu voulait marquer ainsi son éternité hors d’atteinte, aux siècles de lumière succèdent les siècles de ténèbres. Cette alternance marque le mouvement des civilisations. Un excès de lumière, ou du moins ce que les hommes appellent ainsi, est destructeur de la lumière même. Pourtant personne n’acceptera de réduire l’histoire à une simple répétition : l’alternance est aussi intensification. Si le temps n’était jamais pour eux qu’un vain recommencement, on ne s’expliquerait pas par quel sortilège ou quelle illusion les hommes aiment encore la lumière, et moins encore l’épaisseur de cette nuit qui, à certains moments, se répand sur le monde ou en eux-mêmes : il faut que cette succession fasse naître et nourrisse des présences nouvelles. « Obscurité, ma lumière! » fait dire Gide à Œdipe. « Dank dir, meine Befreierin, o Nacht », écrit le jeune Hegel dans son poème à Hölderlin. Et Rimbaud essaie de discerner les linéaments nocturnes d’une nouvelle vie :
Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t’exiles,
Million d’oiseaux d’or, ô future Vigueur?
Pour l’homme en marche vers son destin, la lumière n’est jamais la même lumière, l’ombre non plus. A l’enrichissement croissant de l’une correspond l’enrichissement croissant de l’autre. En première approximation nous appellerons ésotériques toute étude et toute expérimentation qui procèdent du « point de vue » de Dieu et non plus des hommes sur cette ombre et se proposent d’en explorer le domaine en sachant que l’ombre est éternelle, de rechercher comment la lumière est à la fois reçue et refusée par elle, et transmuée en ombre nouvelle. L’ésotérisme s’occupe de la transfiguration de l’ombre.