Antonio Machado (Mairena) – la poésie est un dialogue de l’homme avec le temps

On a déjà défini, en d’autres occasions, la poésie comme le dialogue de l’homme avec le temps, et on appelait « poète pur » celui qui parvenait à vider le sien pour se retrouver seul avec lui, ou presque seul; un peu comme converser avec le bourdonnement de ses propres oreilles, ce qui est la plus élémentaire matérialisation sonore du flux temporel. On disait, en somme, combien la poésie est parole dans le temps, et comment le devoir d’un maître de poétique consiste à apprendre à ses élèves à renforcer la temporalité de son vers. Nos pratiques de cours répondaient à cela — rien de plus pratique qu’une classe de poétique —, exercices ultra-élémentaires; en voici un qui ME vient à l’esprit: «L’œuf à la coque», poème en huitaine, qui ne réussit pas à nous satisfaire, mais qui n’était pas mal du tout. Nous trouvâmes, en effet, quelques images adéquates pour transcrire lyriquement les éléments matériels de cette opération culinaire : le petit enfer de l’alcool avec sa flamme bleutée, le récipient de métal, l’eau bouillante, le sablier, et nous réussîmes encore d’autres images heureuses pour exprimer notre attention et notre impatience. Il nous manqua cependant l’intuition centrale du poème, par laquelle nous aurions dû commencer ; notre sympathie pour l’œuf, que nous avions oublié, parce nous ne le voyions pas, et que nous ne sûmes pas vivre de l’intérieur, en faisant nôtre le processus de sa décoction. (Tr. Victor Martinez)

Antonio Machado (1875-1939)