(…) Maintenant, c’est un trait caractéristique de la vision zoroastrienne que le Seigneur Sagesse apparaisse toujours entouré de six Puissances de Lumière avec lesquelles lui-mème (comme premier ou comme septième) forme l’Heptade divine suprème. Sous prétexte qu’il s’agirait d’une pensée dite « primitive », on a voulu parfois réduire ces Puissances à des « aspects » de la divinité suprème, sans tenir compte de ce qu’un tel modalisme supposerait au contraire une spéculation théologique très développée, et qu’en tout cas l’élan de la piété n’a que faire de ces abstractions et distinctions subtiles, mais s’adresse à des Personnes célestes dont la beauté est ici éprouvée comme fascinante et la puissance reconnue comme efficace. Ce sont ces Sept Puissances qui sont désignées comme tes Amahraspands (avestique Amerta Spenta), nom que l’on traduit couramment par « les Saints Immortels », leur sainteté s’entendant non pas d’un attribut canonique, mais d’une Énergie transitive, active et activante, qui communique l’être, le confirme et le fait surabonder dans tous les ètres. Ce sont ces Sept Puissances qui sont désignées couramment aussi comme les Archanges zoroastriens.
Le Yasht XIX de l’Avesta (c’est-à-dire l’un de ces hymnes liturgiques à la structure caractéristique comportant antiennes et répons) décrit en termes prestigieux leur splendeur et le mystère de leurs relations. L’hymne célèbre ces Archanges « qui ont tous les Sept mème pensée, tous les Sept mème parole, tous les Sept mème action… qui voient l’âme l’un de l’autre occupée à méditer pensées de droiture, à méditer paroles de droiture, à méditer actions de droiture, à méditer la Demeure-des-Hymnes, et qui ont des chemins de lumière pour se rendre aux liturgies (célébrées en leur honneur).., qui ont créé et gouvernent les créatures d’Ahura Mazda, qui les ont formées et les dirigent, qui en sont les protecteurs et les libérateurs ».
Il y a donc entre les Sept Archanges une sorte d’unio mystica, par laquelle l’Heptade divine se différencie tour autant des représentations courantes du monothéisme que de celles du polythéisme; il faudrait plutôt parler d’un kathénothéisme, en ce sens que chacune des Figures de l’Heptade divine peut être méditée à son tour comme réalisant la totalité des relations communes aux autres. On peut suivre dans les textes comme une oscillation qui tantôt relève la primauté du Seigneur Sagesse parmi les Sept, tantôt en accentue l’unio mystica avec les six autres Puissances de Lumière. C’est ainsi que la fréquence avec laquelle, dans les textes pahlavis, Ohrmazd initiant Zarathoustra son prophète, s’exprime en disant : « Nous, les Archanges » — correspond à l’emploi, dans l’Avesta mème, du mot Mazda au pluriel, « les Seigneurs Sagesses », pour désigner l’ensemble des Amahraspands. On peut évoquer comparativement comment chez Philon le Logos — sinon Dieu lui-mème — est nommé du nom d’archange, parce qu’il est archon angelon.
Traditionnellement, dans l’iconographie mentale comme aussi sans doute dans l’iconographie réelle, l’Heptade divine figure comme répartie en deux groupes : trois Archanges représentés comme masculins à la droite d’Ohrmazd, trois Archanges féminins à sa gauche. Ohrmazd lui-mème réunit leur double nature, puisqu’il est dit de lui qu’il fut à la fois le père et la mère de la Création. Tous les Sept ensemble produisirent les créatures par un acte liturgique, c’est-à-dire en célébrant la Liturgie céleste, chacune des Sept Puissances de Lumière produisant en vertu de l’Énergie qui déborde de son être, la fraction des ètres qui dans l’ensemble de la Création représente sa hiérurgie personnelle, et qui pour cette raison peut être désignée de son propre nom.
Ohrmazd a pris comme sa hiérurgie propre, objet de son activité créatrice et providente, l’être humain ou plus exactement cette portion de l’humanité qui a choisi de répondre sur terre pour les ètres de Lumière. Des trois Archanges masculins : Vohu Manah (Pensée excellente, pahlavi Vohuman, persan Bahman) s’est réservé la protection de toute la création animale; Arta Vahishta (Parfaite Existence, Artvahisht, Ordîbehesht), le Feu sous ses différentes manifestations; Xshathra Vairya (Règne désirable, Shathrîvar, Shahrîvar), les métaux. Des trois Archanges féminins : Spenta Arrnaiti (Spandarmat, Esfandarmoz) a pour hiérurgie propre la Terre comme forme d’existence ayant pour Image la Sagesse et la femme sous son aspect d’être de lumière. À Haurvatât (Intégrité, Khordâd) appartiennent les Eaux, le monde aquatique en général; à Amertât (Immortalité, Amordâd), les plantes, tout l’univers végétal. Ce sont ces relations hiérurgiques qui précisément indiquent à l’être humain où et comment rencontrer les Puissances de Lumière invisibles, à savoir en coopérant avec elles pour le salut de la région créaturelle qui relève de leur providence propre.
Dans cette oeuvre, les Archanges suprèmes sont aidés en premier lieu par la multitude des Yazatas (persan Izad, littéralement les « Adorables », ceux qui sont objets d’une liturgie, d’un Yasna); ce sont en propre les Anges du mazdéisme, et l’idée de leur coopération avec les Amahraspands présente une convergence frappante avec l’angélologie néoplatonicienne. Il y a parmi eux Zamyât, l’Ange féminin de la Terre comme Dea terrestris et Gloire tellurique, coopératrice de l’Archange Amertât. On a voulu voir en elle un simple doublet de Spenta Armaiti; leur fonction et leur personne nous apparaîtront finalement comme distinctes. Aussi bien tous les Célestes sont-ils des Yazatas, y compris Ohrmazd et les Amahraspands, sans que les Yazatas soient tous des Amahraspands, à l’égard desquels ils forment plutôt comme une hiérarchie subordonnée. Il y a enfin l’innombrable multitude des entités célestes féminines appelées Fravartis (litt. et celles qui ont choisi », c’est-à-dire choisi de combattre pour venir en aide à Ohrmazd), et qui sont à la fois les archétypes célestes des ètres et leur ange tutélaire respectif; elles sont métaphysiquement non moins nécessaires que les Yazatas, puisque sans leur aide Ohrmazd n’aurait pu défendre sa création contre l’invasion destructrice des Puissances démoniaques Elles annoncent une structure universelle de l’être et des ètres, selon l’ontologie mazdéenne. Chaque entité physique ou morale, chaque être complet ou chaque groupe d’ètres appartenant au monde de Lumière, a sa Fravarti, y compris Ohrmazd, les Amahraspands et les Izads.
Ce qu’elles annoncent aux ètres terrestres, c’est donc une structure essentiellement duelle qui donne à chacun son archétype céleste ou Ange dont il est la contrepartie terrestre. En ce sens il y a une dualitude plus essentielle encore à la cosmologie mazdéenne que ne l’est le dualisme Lumière-Ténèbres, qui en est l’aspect retenu le plus couramment; ce dualisme ne fait qu’exprimer la phase dramatique traversée par la Création de Lumière qu’ont envahie et que meurtrissent les Puissances démoniaques, et c’est un dualisme qui interprète cette négativité sans compromis, sans réduire le mal à une privatio boni. Quant à la dualitude essentielle, elle conjugue un être de lumière avec un autre être de lumière; mais jamais un être de lumière ne peut avoir son complément dans un être de ténèbres, fût-ce sa propre ombre : le propre des corps de lumière en la Terre transfigurée est précisément de ne pas « faire d’ombre », et dans le plérôme il est toujours « midi ».
Cette structure duelle instaure une relation personnelle qui double cette autre relation fondamentale que la cosmologie mazdéenne exprime en distinguant l’état mênok et l’état gêtik des ètres. Cette distinction n’est pas exactement celle de l’intelligible et du sensible, ni simplement celle de l’incorporel et du corporel (car les Puissances célestes ont des corps très subtils de lumière); c’est plutôt la relation entre l’invisible et le visible, le subtil et le dense, le céleste et le terrestre, étant bien entendu que l’état gêtik, matériel terrestre, n’implique nullement en soi une dégradation de l’être, mais était lui-mème avant — comme il le sera après — l’invasion ahrimanienne, un état glorieux de lumière, de paix et d’incorruptibilité. Chaque être peut être pensé dans son état mênok de mème que dans son état gêtik (la Terre, par exemple, en son état céleste est désignée comme zâm; dans son état empirique, matériel, pondérable, comme zamîk, persan zamîn).