CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979
Aussi bien, quels sont les Événements qui s’accomplissent en Erân-Vêj? Il y a les liturgies mémorables, célébrées par Ohrmazd lui-même, par les êtres célestes, par les héros légendaires. C’est en Erân-Vêj qu’Ohrmazd lui-même célébra des liturgies en l’honneur d’Ardvî Sûrâ Anâhitâ « la Haute, la Souveraine, l’Immaculée », l’Ange-déesse des Eaux célestes, pour lui demander que Zarathoustra s’attache à lui et soit son prophète fidèle (Yashr v, 17 ). C’est à elle également que Zarathoustra demanda la conversion du roi Vîshtâspa (Yasht v, 104). C’est en Erân-Vêj que le beau Yima, « Yima l’éclatant de beauté, le meilleur des mortels », reçut l’ordre de construire l’enclos, le Var, où fut rassemblée l’élite de tous les êtres, les plus beaux, les plus gracieux, pour être préservés de l’hiver mortel déchaîné par les Puissances démoniaques, et pour repeupler un jour le monde transfiguré. Le Var de Yima comprend en effet, à la façon d’une cité, des maisons, des réserves, des remparts. Il a portes et fenêtres luminescentes qui sécrètent d’elles-mêmes la lumière à l’intérieur, car il est illuminé à la fois par des lumières incréées et par des lumières créées. Une fois seulement chaque année, on voit se coucher et se lever les étoiles, la lune et le soleil; c’est pourquoi une année ne semble qu’un jour. Tous les quarante ans, de chaque couple humain naît un autre couple, masculin et féminin. Et peut-être est ainsi suggérée la condition androgyne de ces êtres qui « vivent de la plus belle des vies dans le Var constant de Yima ».
Est-ce par la méditation ou par une campagne de fouilles archéologiques que nous pouvons espérer retrouver la trace de ce Paradis des archétypes, cette Terre céleste au centre du monde qui préserve la semence des corps de résurrection? Le Paradis de Yima n’est pas repérable à la surface de nos cartes soumises au système des coordonnées. À la différence d’une recherche topographique, il s’agit d’amener à transparaître la Forme imaginale, l’Image-archétype, qui ne peut transparaître que là, in medio mundi. Notre enquête est alors celle-ci : comment, telle qu’elle est perçue de ce centre du monde, se présente la géographie visionnaire, et de quels événements psycho-spirituels cette géographie visionnaire signale-t-elle la présence?