Si les ombres ne sont pas plus dures que la chair ;
Si tu pouvais les toucher sur les murs
comme les huîtres de la pointe du couteau :
elles poussent un grand cri
leur clameur fait frémir la mer
la mer et la peau de ton dos
que j’accrocherai au mât de ma barque
sanglant d’un côté,
et noirci de l’autre par ta honte –
ah ! si tu pouvais mettre le doigt
entre ces cisailles si dures et si peu humaines
qu’elles repoussent la main
et qu’elles te rongent
alors tu saignerais, ma vieille épouvante
toi que j’ai formée du limon de ma peur
tous les soirs qui se font
tous les soirs qui ME défont
je sculpte un peu tes paupières
ah ! les larmes qui jaillissent
ah ! l’alarme et ma fusion
et cette robe de prisonnière
qui s’use seule dans un cachot
pleine de ton vide et vide de ta forme
et voici tu es plus réelle que moi
et je ne t’ai pas reconnue
nos dialogues deviennent puérils :
— Bonjour ; ma belle tombe.
— ……………………………
— Bonjour, ma belle tombe.
— ……………………………
— Sésame ouvre-toi
— ……………………………
— Ouvre-toi, crève soupape, crève de lumière et montre-moi ton vrai visage, le creux des mondes, le creux des masques.
Et tu réponds en épaississant ta chevelure et la nuit qui gonfle tes paupières, d’une voix d’orage qui n’éclatera jamais :
— Et si je ME retournais dans ma peau ?
Si je montrais le fond de mon sac ?
C’est toi le mort, c’est toi le bord du jour,
ce sont tes yeux qui sont fermés pour toujours
je regarde où tu crois ne pas voir ».
Ah ! personne ne saura
qui se trompe, d’elle ou de moi.
Je n’en dirai pas plus, car c’est un sale mystère.
J’ai fait des vains efforts pour m’exprimer.
Tu m’as cloué le bec
tu m’as mis cent kilos de nuit sur la nuque
je t’ai créée non pas à ma mesure
mais à la mesure de ma peur
mais à la mesure de l’abîme
où je suis un point noir
tes yeux, tes yeux, j’ai cru les reconnaître
dans la mer des ombres d’ombres
où je crois rêver
ou ne pas rêver je ne sais pas
je n’implore pas pitié
ton œil gauche m’a pleuré
mais cette planète de cristal, ta larme,
elle n’est pas retournée à la mer salée
elle n’a pas voulu se perdre
elle s’est couverte de suie
je suis la suie ! et je suis une tache
sur ta peau
oh ! rentrer rentrer, ma peau noire brûlée,
dans le soleil de ton œil droit1
ce jour-là, ce jour-là
n’est marqué dans aucun calendrier.
Poème publié dans la revue Port-des-Singes n° 6 (1978-1979).
Si une femme avait vraiment un “regard assassin”… ↩