Daumal (RDEN2:197-198) – Hinos e Preces do Veda

Devant les hymnes védiques, comme devant les vieux poèmes babyloniens, hébraïques ou chinois, la pensée ordinaire – y compris celle de nos plus grands « penseurs » – doit abdiquer. Ce sont des poèmes, des créations, et l’homme tel que nous sommes ne peut pas créer, ne peut donc pas comprendre un vrai poème. Leur origine, disent les Hindous, est « non-humaine » (apaurusheya).

Il faut avoir affronté ces hymnes dans les textes que nous en possédons et avec les armes insuffisantes de la philologie védique, il faut de plus s’être fouillé profondément soi-même devant ces paroles dont le bourdonnement puissant frappe les cœurs directement en fracassant nos fragiles logiques au passage, il faut, pauvre Sherlock Holmes, s’être avoué vaincu devant ces mystères, pour apprécier, en fin de compte, l’humilité de la traduction de Louis Renou. J’ajoute qu’il faut aussi, pour lui rendre hommage, avoir rougi de l’impudence avec laquelle tant d’autres, jusqu’ici, ont voulu « expliquer » les hymnes védiques, pareils à des astronomes qui, pour mieux voir le Soleil, essaieraient de l’éclairer avec des bougies. Louis Renou, à ce qu’il me semble, a choisi pour chaque mot et pour chaque forme syntaxique, entre les divers sens possibles, celui qui est le moins invraisemblable dans l’état actuel de l’exégèse védique. Ses prédécesseurs fondaient leurs traductions sur des idées partiales, fausses. Lui ne base la sienne, en fait, sur aucune théorie préçoncue (vraie ou fausse), et cela donnera certainement au public français une image moins mensongère (non pas plus vraie) de la poésie védique. Ignorer n’est qu’une maladie, notre maladie à tous ; prétendre savoir est un crime. Acceptons de bonne grâce ce pis-aller, puisqu’il est peu probable qu’il se trouve avant longtemps un homme à la fois capable de comprendre la pensée du Véda (mais ce ne serait plus un homme au sens ordinaire du mot), et connaissant suffisamment le langage védique et la langue française pour nous donner une traduction parfaite.

Le choix des hymnes traduits est bon, en ce qu’il montre la variété de ton et de but des milliers de poèmes réunis dans les quatre recueils des Védas. Ce qu’il faudrait maintenant, pour malgré tout tenter de pénétrer mieux dans la pensée du Véda, ce seraient des traductions non plus horizontales, pour ainsi dire, mais verticales : au lieu de traduire un hymne après l’autre, traduire un hymne, puis ses commentaires les plus autorisés (comme ceux de Sâyana) ; puis les passages des brâhmana et des upanishad relatifs à cet hymne, avec leurs gloses et les commentaires de ces gloses ; et enfin les principaux textes psychologiques, mythologiques, juridiques, etc., se fondant sur l’autorité de la parole originelle. Un tel travail pourrait, au moins, donner une idée de ce que représente pour un Hindou orthodoxe l’autorité du Véda.

(1939.)

René Daumal (1908-1944), Vedas