As antigas especulações hindus, como as encontramos expressas nos Vedas, Upanishads, Bhagavad Gita, etc., exibem estes sinais de pensamento no estado mais puro. O próprio nome sânscrito de Atmâ, o “Ser”, princípio absoluto e universal, significa que é o estado limite da personalidade que emerge constantemente das formas individuais. Brahma, idêntico a Atmâ, é o puro sujeito de todo conhecimento e toda ação.
Les antiques spéculations hindoues, telles que nous les trouvons exprimées dans les Védas, les Upanishads, la Bhagavad Gîtâ, etc., présentent ces signes de pensée à l’état le plus pur. Le nom sanscrit même d’’Atmâ, le « Soi », principe absolu et universel, signifie bien qu’il est l’état-limite de la personnalité se dégageant incessamment des formes individuelles. Brahma, identique à Atmâ, est le pur sujet de toute connaissance et de toute action1:
Atmâ, ce soi-limite, est l’absolu sous tous les rapports. Il est par exemple l’objet absolu de tout amour :
Enfin, Atmâ est dit explicitement, à maintes reprises, ne pouvoir être désigné que par la négation de tout attribut :
Ainsi l’Atmâ absolu est la limite vers laquelle tend l’âtmâ individuel :
Et cette progression est constatée dans cette vie, car tout homme, à tout instant, peut accomplir l’acte d’abnégation qui le rapproche un peu plus de l’Atmâ. La métaphysique hindoue, dans son origine, est donc étroitement liée à l’expérience. Elle perd tout sens dès qu’on la sépare du Yoga, science de l’Union, ou méthode, longuement élaborée au cours des siècles par des milliers de chercheurs, capable de guider le cheminement de l’esprit, de lui donner le plus grand nombre possible d’occasions de s’éveiller; ainsi, continuellement mis en demeure de prendre conscience, le « soi » peut parvenir à se délivrer de toute existence individuelle, en devenant un avec Atmâ.
Face à cette intuition de la réalité métaphysique, nous constatons une des plus puissantes organisations d’oppression politique, économique et religieuse que l’on puisse trouver dans l’histoire des sociétés. La religion brahmanique, issue du plus pur éclair de conscience qui se soit peut-être manifesté dans les siècles, devient le fondement du système des castes et d’une odieuse tyrannie théocratique. Cette opposition éclate dans le livre des Lois de Manou; tant que l’enseignement s’adresse au seul brahmane, pris isolément, comme s’il était le seul homme réel, il conserve tout son caractère de savoir vivant, reposant sur une expérience active de l’homme; il propose Brahm, l’absolu impersonnel, l’Atmâ, comme état-limite de la conscience en marche vers elle-même, comme le terme nécessairement conçu d’un effort de libération méthodique que l’homme peut et doit commencer immédiatement. Mais sitôt que le prêtre est considéré comme représentant de la caste supérieure, replacé dans sa fonction sociale, il se trouve en rapport avec les trois autres castes directement issues du dieu mythologique Brahma, et avec la foule des hors-castes, des parias, des déclassés de toute nature, des rejetons d’unions interdites, de tous ces hommes que le brahmanisme considère, à la lettre, comme des dégénérés, à peine comme des hommes.
Dès ce moment, l’admirable révélation du fait mystique primitif est trahie. Presque tout le livre est consacré à glorifier la puissance, les privilèges et le caractère sacré du brahmane. Il est sorti de la bouche du dieu, alors que les autres castes sont issues des parties moins nobles; lui seul a le droit d’offrir le sacrifice au feu; il est pur, intangible; il est l’objet de véritables tabous. Dans leurs rapports avec lui, les autres hommes sont liés par mille obligations ou interdictions; les infractions à ces règles sont sévèrement, souvent cruellement punies. La religion, ici, se montre dans sa double fonction d’asservir les peuples et de tuer la pensée naissante : car la libre pensée primitive est étouffée sous des dogmes morts, imposés au peuple pour le profit du pouvoir sacerdotal, comme celui de l’origine supérieure du brahmane. A cause de cette liaison étroite du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel, aucun réveil de la conscience n’était possible sans une révolte politique et économique contre la caste au pouvoir.
En effet, lorsque la pensée hindoue se réveille de cet engourdissement dogmatique, elle atteint de nouveau, dans son expression, les plus hauts sommets. Et cette renaissance, presque toujours, s’accompagne d’une révolte manifeste contre l’autorité des prêtres et des Ecritures. Les Upanishads présentent souvent des dialogues philosophiques où des princes, des brahmanes, des ascètes sont en présence; et c’est le prince qui enseigne, alors que le brahmane tient le rôle de l’ignorant; parfois il est bafoué et ridiculisé; ou bien un sage ermite livre sa science au prince, et renvoie le prêtre.
Dans la Bhagavad Gîtâ, la révolte contre l’autorité théologique se précise davantage. C’est dans la personne d’un Kchattriya que Vishnu s’est incarné pour instruire les hommes. Sous le nom de Krishna, il enseigne explicitement au prince Arjuna le dédain des écritures et des discussions stériles des théologiens :
(Un blanc dans le manuscrit)
Ce livre, où la pensée hindoue retrouve une fois encore toute sa pureté et sa puissance originelles, est le fruit d’une révolte de la caste princière et militaire contre l’autorité spirituelle et temporelle des prêtres.
La révolte devient encore plus nette et plus ouverte avec le Jaïnisme.
Elle trouva son véritable accomplissement avec le Bouddhisme.
(Un blanc dans le manuscrit)
En s’insurgeant contre l’autorité du prêtre, il retrouvait en lui les conditions concrètes et universelles de l’ascèse.
Puisque ces conditions valaient pour tout homme, puisque la réalité de tout homme était dans le même acte intime de penser, aucune barrière spirituelle ne pouvait plus séparer les individus en castes.
Mais à son tour l’enseignement du Bouddha se constitua en dogmes, s’ensevelit dans la théologie. Il est vrai qu’il ne parvint pas à se maintenir victorieusement dans sa terre natale. S’il l’avait pu, il aurait eu pour résultat, probablement, de remplacer la domination des brahmanes par celle d’une aristocratie de princes et de militaires, comme l’a fait, dans quelques provinces (???), le Jaïnisme. Les réveils révolutionnaires de l’Inde ancienne furent toujours incomplets, parce qu’ils étaient le fait des seuls Kchattriyas. Il eut fallu un réveil et une révolte de toutes les castes et de tous les hors-castes pour libérer vraiment le peuple hindou.
Mais au Thibet, par exemple, transformé en lamaïsme, le bouddhisme devient religion officielle, avec ses dogmes, ses rites, son clergé. Le Bien suprême, pour le bouddhisme, est donné comme un acte-limite, un idéal contre une personnalité humaine qui s’est délivrée d’elle-même; ainsi les réincarnations des grands saints du bouddhisme, des disciples de Gautama ou de leurs descendants spirituels, de tous les ascètes enfin tenus par la tradition pour avoir atteint la délivrance, l’extinction du Nirvana.
Tel personnage, donc, s’il réussit, grâce à l’appui des traditions et des dogmes, à passer aux yeux du peuple pour un de ces « bouddhas vivants », concentre sur lui tout le respect, la vénération, la crainte, qu’inspire un personnage sacré, un être « tabou » ; ainsi peut-il s’assurer une domination politique aussi bien que religieuse.
Le clergé, en ce pays, possède d’ailleurs les moyens les plus nombreux et les plus puissants qui soient de tuer la pensée en lui substituant des simulacres, et d’endormir le peuple pour mieux le dominer et l’exploiter. Les mystiques thibétains en qui se réveilla l’esprit au cours des siècles inventèrent des procédés très savants et très efficaces pour assujettir le corps et les passions des filles à la domination de la volonté. En imposant une règle aux mouvements corporels, la conscience pouvait se libérer d’eux en les reniant, et se poursuivre elle-même dans une calme méditation. Mais la valeur que ces penseurs véritables accordaient à la seule pensée en acte fut vite transférée, par la multitude paresseuse, aux procédés eux-mêmes; elle devint donc une valeur magique : ces pratiques passaient pour faire progresser la conscience, par leur seule vertu. Bientôt mêME on les fit servir à des buts secondaires, ou tout à fait étrangers à la recherche du Bien; elles devaient procurer des dons physiques : force, santé, acuité des sens, etc., ou supra-physiques : double-vue, lévitation, enfin toutes les facultés supranormales de l’homme; et ce fut toute la sorcellerie thibétaine. Par les chapelets, les moulins à prières, les formules répétées mécaniquement pendant des heures entières, les prêtres et les moines endormirent les consciences. Leur enseignement peut être de bonne foi; ils ne peuvent enseigner ce qui ne s’enseigne pas, mais se fait, l’acte de penser. Et il est probable qu’il s’est trouvé, qu’il se trouve encore des abbés, des seigneurs théocratiques assez habiles pour employer ces procédés à l’asservissement de leurs sujets.
Ainsi s’est constituée et se conserve l’espèce de féodalité théocratique particulière au Thibet, et, éminemment, la rencontre des deux pouvoirs dans la personne du Dalaï-Lama. Mais la succession dialectique de renaissances et de morts de la pensée religieuse est sans fin. Tout au long de l’histoire sociale et religieuse du Thibet surgissent des hommes qui, en se révoltant contre l’autorité établie, provoquent des réveils de la conscience. D’où ce foisonnement de mysticismes, d’hérésies, de réformes, de sectes, qui rend si complexe l’étude du lamaïsme. Mais, au Thibet, l’emprise religieuse est si forte qu’il n’existe encore aucune cohésion consciente entre la masse des opprimés. Aussi ces explosions de conscience sont ordinairement le fait d’un seul individu — un moine, par exemple comme il arrive souvent, qui rompt toute attache avec la société, se retire dans la montagne, inédite, pour, plus tard peut-être, commencer à enseigner —, ces réveils de la pensée alors, fréquemment, s’élèvent d’un seul bond à la hauteur de la pure et simple révélation de l’Inde antique.