L’âme se convertit en esprit, le corps ténébreux se change en corps de lumière. Mais quelle est la cause de cette transmutation ?
D’abord, c’est l’Esprit de Dieu qui, en se communiquant à la créature, engendre l’esprit en elle. La lumière qui est en nous, est le fruit de la Lumière divine. Il faut entendre ce mot fruit au sens propre, le symbolisme de l’arbre et du fruit tenant une grande place dans la théosophie d’Œtinger, comme dans la spiritualité chrétienne en général. L’auteur de la Lehrtafel parle selon saint Paul15 du fruit de la Lumière et il commente : ainsi l’Esprit produit un fruit, la lumière est le fruit de la Lumière. Il faut l’entendre non pas seulement au sens moral, mais physice. L’Esprit de Dieu engendre en nous un homme nouveau avec un corps. L’avènement de l’Esprit en nous est une incarnation dans cette matière parfaite, terme de toutes les transmutations, materia ultima, que symbolisent la lumière ou le cristal.
C’est donc l’Esprit de Dieu qui opère la grande transmutation de l’âme. Mais aussi, il y a un mouvement propre à l’âme. Par définition, l’âme n’est-elle pas ce qui se meut de soi-même ? Il y a dans l’âme un élément moteur qu’Œtinger désigne par le mot Trieb, ce qui par connotation lui donne aussi la valeur d’un instinct, et qui pousse l’homme à manifester ce qui est caché en lui. Œtinger l’évoque en paraphrasant l’Ecriture : « Rien ne se trouve si voilé qui ne doive être dévoilé, rien de caché qui ne doive être connu. »
Pour Œtinger, comme pour Boehme, l’âme se définit d’abord comme une volonté. Ce qui concrétise cette volonté, c’est le désir de se manifester. C’est ce désir qu’Œtinger appelle la volonté de lumière : der Wille zum Licht. Œtinger mettra le même désir, la même volonté à la source de la manifestation de Dieu pour lui-même.
Ce besoin de l’homme n’est pas la soif de connaître au niveau de la conscience éveillée. C’est au plus profond de l’inconscient qu’il se fait sentir, dans les ténèbres qui régnent à la naissance de la vie. Il est le désir de Dieu dans l’épaisseur de la créature. L’âme connaîtra Dieu en se manifestant à elle-même selon la perfection de ses puissances. Mais au moment où naît ce désir, l’âme n’est pas encore une âme intelligente. Elle ne le deviendra que lorsqu’elle aura reçu l’esprit en partage. Auparavant, l’âme n’est que ténèbres et elle est le théâtre d’un affrontement terrible entre des forces adverses. Lorsque ces puissances auront cessé le combat et qu’elles s’équilibreront dans l’harmonie, l’âme goûtera le repos, et ce sabbath sera le symbole final de l’accomplissement. Alors régnera la lumière et cette lumière émanée du fond de l’âme sera l’objet de sa vision, concrétée dans un corps glorieux.
Nous voyons dans quel esprit Œtinger combat Leibniz et ses disciples qui veulent que l’âme soit uniquement une vis representativa. Pour Œtinger, la représentation ne naît qu’au terme de tout un déroulement dramatique. Contre l’intellectualisme moderne, Œtinger, faisant écho à Boehme, met la volonté à l’origine de toutes choses et même, il en fait le premier moteur de la vie divine. La volonté s’exerce avant l’intelligence.
Certes, la finalité de cette volonté est dans la révélation. Mais la connaissance qui naît de cette aspiration obscure, n’est pas un simple reflet de l’univers, comme celle qu’Œtinger prête à la monade leibnizienne. Cette intelligence est connaissance de soi et elle se réalise dans l’épanouissement des puissances de l’âme. La révélation est dans l’accomplissement de la personne selon la totalité de ces puissances. Elle est conquise de haute lutte sur les ténèbres de l’âme. Chez Leibniz, les ténèbres ne sont pas à proprement parler dans l’âme. La zone d’ombre qui limite la connaissance de chacun, est tout simplement le fait de la position particulière de chaque monade qui la rend incapable de refléter la totalité de l’univers à un même moment. Chez Boehme comme chez Œtinger, les ténèbres ont une réalité substantielle qui est le propre de l’âme.