L’examen de la méthode analogique et des correspondances entre les divers plans de l’Univers nous a conduit à l’analogie-type entre l’Homme et la Divinité. Voyons maintenant comment l’être humain dans son unité complexe peut mériter le nom classique de microcosme1 et apparaître comme le résumé ou le reflet de la complexité harmonieuse du Grand Tout. L’idée du microcosme humain se retrouve dans toute la tradition ésotérique et chez de nombreux philosophes anciens ou modernes. Emerson nous montre l’homme « né analogiste » et étudiant les relations entre les objets par le fait même qu’il est « placé au centre des choses avec un rayon de relation allant de tous les autres êtres à lui ». A ses yeux le monde s’achève en l’homme, « ultime victoire de l’intelligence », sans doute parce qu’il est un miroir complet de l’univers dont les autres êtres ne reflètent que de fragmentaires aspects. De même OEgger, comme son maître Swedemborg, définissait l’homme « le plus parfait des emblèmes2 ». C’est pour cela que le principe directeur de toute la philosophie de Saint-Martin était qu’il fallait étudier non pas l’homme d’après le monde, mais le monde d’après l’homme, aller de l’intérieur à l’extérieur, ce qui est le pendant de l’axiome grec : connais-toi toi-même, et en un sens le principe de la méthode schopenhauerienne3.
Dieu est une Tri-Unité. Déjà nous avons trouvé ce mot sous la plume de Maistre et le dogme enseigne l’existence d’un seul Dieu en trois personnes, ce qui signifie non pas que trois ne sont qu’un, ce qui serait absurde et blasphématoire, « mais que trois personnes ne font qu’une nature » (Soirées, 4e entr.), ce qui est un nouvel exemple de ces notions révélées inconcevables, mais plausibles, qui « satisfont la raison en l’écrasant ». L’idée de la Trinité est d’ailleurs d’accord « avec les spéculations les plus solides de la psychologie et même avec les traditions plus ou moins obscures de toutes les nations ».
La philosophie des Nombres est d’ailleurs la base de toute théosophie et notamment de la Kabbale. L’importance de leurs rapports apparaît dans les phénomènes naturels; et le sens profond de ces rapports, étudiés par l’arithmosophie décèlera l’intime signification de chaque nombre. D’où l’idée de « Nombres mystiques. » Si la preuve ontologique4 ne suffisait pas, l’existence du nombre dans l’univers prouverait à elle seule celle de l’intelligence suprême, car « l’intelligence ne se prouve à l’intelligence que par le nombre », par l’ordre qui « n’est que le nombre ordonné », et par la symétrie qui « n’est que l’ordre aperçu et comparé ». Dieu nous a donné le nombre pour nous séparer de l’animalité dans l’ordre immatériel, comme l’usage du feu nous en sépare dans l’ordre physique; « et c’est par le nombre qu’il se prouve à nous, comme c’est par le nombre que l’homme se prouve à son semblable ». Sans nombre il n’y a ni science, ni art, ni parole. Grâce à lui « le cri devient chant, le bruit reçoit le rythme, le saut est danse, la force s’appelle dynamique et les traces sont des figures ». « Tous les êtres sont des lettres dont la réunion forme un discours qui prouve Dieu… »
Sachons lire les nombres mystérieusement écrits dans la nature et surtout la Triade mystique. Le nombre trois est « écrit, dit le Comte,dans les astres, sur la terre; dans l’intelligence de l’homme, dans son corps ; dans la vérité, dans la fable ; dans l’Evangile, dans le Talmud, dans les Védas, dans toutes les cérémonies religieuses antiques ou modernes, légitimes ou illégitimes, aspersions, ablutions, invocations, exorcismes, charmes, sortilèges, magie noire ou blanche ; dans les mystères de la Kabale, de la théurgie, de l’alchimie, de toutes les sociétés secrètes ; dans la théologie, dans la géométrie, dans la politique, dans la grammaire, dans une infinité de formules oratoires ou poétiques qui échappent à l’attention inavertie ; en un mot dans tout ce qui existe. » Maistre, très « averti » de toutes ces choses, n’admettait point que des rencontres aussi nombreuses pussent être l’œuvre du hasard.
« Le Ternaire partout brille dans l’Univers et la Monade est son principe », dit l’oracle de Zoroastre; et les Vers Dorés de Pythagore traduits par Fabre d’Olivet qui fut incontestablement l’un des plus curieux et profonds penseurs de la fin du xvm6 siècle, invoquent la Tétrade (ou quaternaire) sacrée, symbole suprême, « source de la nature et modèle des Dieux5 ».
Le quaternaire en effet ramène le ternaire à l’unité; car les trois termes qui constituent ce dernier, actif, passif et neutre (par exemple : père, mère, enfant) ; sont enfermés dans une unité supérieure (dans le cas cité, la Famille), Cette gradation se retrouvera dans l’univers (faits, lois, principes; – monde naturel humain, divin)6 et dans l’homme (corps, âme, esprit ; matière vie, intelligence). Elle peut être considérée comme l’une de ces analogies, l’un de ces rapports entre les mystères proprement dits de la révélation et les vérités d’ordre naturel, rapports qui, dans une certaine mesure, contribuent à éclairer cette révélation elle-même. En effet, la Force, l’Essence active de la divinité, le Père, se contemple soi-même dans le Fils (Verbe, Intelligence, Principe passif) engendré éternellement par cette contemplation ; et de l’Amour infini de ces deux Hypostases, naît l’Esprit, qui est l’Amour, résumé du Ternaire et créateur du Tout7. Le fameux Tetragrammaton (Joseph de Maistre y fait plusieurs fois allusion dans ses notes) exprime hiéroglyphiquement l’idée d’un quaternaire formé d’un ternaire ramené à l’unité, d’un ternaire dont le second terme est double. Le iod en effet du grand nom mystique est l’unité divine ; les deux hé et le vau qui les sépare (IEVE) correspondent aux trois plans de l’univers et aux trois hypostases.
Cette loi se retrouve partout et d’une façon assez frappante8. Maistre l’observe dans tous les ordres d’idées et à toutes les époques. Il ne s’étonne pas que les Espagnols aient vu un pressentiment de la Trinité dans le temple élevé par les anciens Incas du Pérou au Tonnerre, à l’Eclair et à la Foudre, sous le nom d’Ykapa. « Ils se seraient peut-être étrangement trompés, répond-il à l’historien Carli, si cet emblème était unique dans l’univers ; mais comme il est écrit sur toutes les parties de cet univers, c’est autre chose. Il n’y a peut-être pas d’emblème si juste ; car l’éclair est l’essence du phénomène, le tonnerre ou le bruit est sa parole et la foudre son action et ces trois choses ne sont qu’un9. »
Le dogme de la Trinité est la doctrine capitale du Christianisme qu’il élève au-dessus du Judaïsme vulgaire et de toutes les autres religions païennes, en révélant à tous les hommes l’un des aspects les plus profonds de la réalité, le plus secret des mystères, la vérité pressentie par toutes les traditions, enseignée par toutes les initiations et préfigurée symboliquement dans la nature elle-même. Le Père est en effet essence et vie, le Fils, forme, conscience, intelligence et parole, l’Esprit, lumière et amour. Absolue, l’idée de l’unité se confond avec celle d’infini. Le Père est infini et donc indivisible, l’être en soi, le principe de tout, dont la substance des choses n’est que le reflet et l’image négative. Conséquence de l’Etre, image, forme et mesure du Père qui se contemple éternellement en lui, le Fils est la Parole, le Verbe que le Père se prononce éternellement à soi-même. Il est la Sagesse, « miroir sans tache delà majesté divine », «figure de la substance de Dieu »10. Il est la Forme, c’est-à-dire l’intelligence et la détermination, condition nécessaire de l’existence et de l’intelligibilité. « L’intelligence dans l’être absolu est la connaissance qu’il a de lui-même, en tant que doué de forme. Mais à cause de son unité radicale infinie, ce qui connaît en lui est identique avec ce qui est connu » (Lamennais). Manifestant le nombre deux en introduisant un nouveau terme, le Fils est enfin la distinction. C’est par la double procession du Saint-Esprit que la contradiction ouverte est résolue, que l’unité et la distinction peuvent, sans se détruire, coexister. L’Esprit est l’amour qui naît éternellement de la divine auto-contemplation du Père dans le Fils ; il est « l’harmonie qui les accordent, la lumière qui fait resplendir leur beauté11 » ; qui jaillit de leur union, qui illumine la perfection de leur oeuvre, le Consolateur ou Paraclet qui achève la Rédemption du Fils après la Création du Père.
Nous pouvons d’autant moins nous étonner (bien que nous ne puissions pas clairement comprendre) de cette Tri-unité divine, que nous retrouvons en nous un exemple de la même loi universelle. Si en nous, peut-on même dire, la constitution triple de l’être ne se manifeste point effectivement en trois personnes, si la faculté n’atteint pas à la personnalité, c’est que nous n’avons pas la plénitude de la vie, n’existant point par nous-mêmes, mais d’une façon relative.
L’homme est en effet triple dans son unité personnelle. Tous les occultistes et de nombreux philosophes ont enseigné cette doctrine. « Il y a trinité et unité dans l’homme », ainsi qu’en Dieu, disait Paracelse, au XVIe siècle12. C’est pour cela que l’homme, dit Fludd, « forme à lui seul tout un monde, appelé le microcosme, parce qu’il offre en abrégé toutes les parties de l’univers. Ainsi la tête répond à l’empyrée, la poitrine au ciel éthéré ou moyen, le ventre à la région élémentaire. » Nous avons vu en effet qu’il y a trois mondes, le monde archétype ou divin (principes), le microcosme humain (lois) et le macrocosme de la nature (faits). L’homme est placé au plan médian ; il « relie le fait visible au principe invisible, par renonciation de la loi »13 ; il est un résumé, un miroir et un symbole.
Sous quelque point de vue que nous le contemplions, toujours nous sommes ramenés au ternaire. Essentiellement nous trouvons en lui un corps matériel, un principe vital et un principe spirituel. Les interprétations et surtout les mots varient parfois. On peut appeler le second principe, corps astral, médiateur plastique, âme ou esprit, et le troisième également âme ou esprit. Réservons-lui, quant à nous, pour plus de netteté, ce dernier nom. – Mais la division subsiste en son essence. Nous pouvons aussi remarquer que chacun de ces trois principes peut à son tour se triplement subdiviser ; c’est-à-dire qu’en chacun d’eux les deux autres ont des reflets ou des représentations d’eux-mêmes14. Ainsi le corps matériel comprend trois sections : le ventre essentiellement matériel, la poitrine qui répond à l’âme et la tête qui répond à l’esprit15. Dans chacune de ces trois sections du corps les deux autres sont également représentées ; dans le ventre par exemple nous avons outre les intestins et annexes, une représentation de la poitrine (vaisseaux sanguins) et une représentation de la tête (plexus nerveux solaire).
La constitution triple de l’homme se retrouve dans les noms que les peuples divers donnent aux différents principes de l’âme. Notons à ce propos que le principe médian, participant de l’inférieur et du supérieur, se trouve pour cette raison généralement dédoublé16. La Kabale compte au-dessus du corps physique : 1° le médiateur plastique et l’âme : nephesch et ruach, 2° l’esprit pur : neschamah. Les Egyptiens distinguaient Khat, le corps, Ka et Khou, le double et la substance, et Ba-Baï ou l’essence lumineuse. Zoroastre parle de djan, de ferouer et de l’akko ; Paracelse, du corps élémentaire, de l’esprit animal et de l’âme spirituelle. Les spirites contemporains placent entre le corps et l’âme immatérielle un corps astral ou périsprit. Mais la conception qu’ils s’en sont formés s’éloigne sensiblement du point de vue que nous venons d’exprimer.
Que cette théorie soit celle de Joseph de Maistre, nul doute. A différentes reprises il affirme sa croyance aux trois principes de l’homme. L’union de notre [âme et de notre corps lui semble « une énigme insoluble à jamais » (Du Pape, conclusion), s’il n’y a pas d’intermédiaire. Il essaye d’éclaircir le problème, comme nous l’avons fait, par la méthode analogique.
La question était d’ailleurs à l’ordre du jour dans les, milieux fréquentés par lui dans la première partie de son existence. Le Convent de Wilhemsbad, par exemple, à la préparation duquel nous avons vu que Maistre travailla, avait voulu donner au système maçonnique une base théosophique. L’instruction du premier grade, rédigée par le frère ab Eremo (Villermoz), dit « que le mystère dont il est question dans le catéchisme se rapporte à la triple nature de l’homme qui est composé de l’esprit, de l’âme et du corps17 ».
Maistre remarque que pendant le sommeil le corps d’une part, et de l’autre le principe intelligent continuent à exercer leurs fonctions vitales, « sans que le principe sensible en ait conscience ». (Soirées, 7e entr.) « L’animal n’a reçu qu’une âme; à nous furent donnés l’âme et l’esprit18 ». C’est précisément cette âme, ce principe sensible qui résoud le problème de l’union de l’esprit et du corps entre lesquels il ne pourrait y avoir « aucune sorte de lien ni de contact », et qui est pour eux une sorte de moyenne proportionnelle.
C’est l’esprit pur que Lucrèce appelle l’âme de l’âme, que Platon et Philon nomment le cœur de l’âme. Homère ne distingue-t-il pas la phrenos et le thymos, comme la philosophie grecque la psyché et le nous, et le latin l’anima et le mens ou animus19 ?
Cette question se rattache en effet au problème du mal, et c’est ce qui la rend particulièrement délicate. La dualité de l’âme explique en effet la double tendance de l’homme, la lutte du bien et du mal au dedans du même être, les contradictions de la volonté, inexplicables si on la suppose absolument une, « car nul sujet ne peut réunir deux contraires simultanés ». Elle fait comprendre comment un sujet peut « aimer à la fois le bien et le mal, aimer et haïr le même objet, vouloir et ne vouloir pas». C’est une tradition générale en effet que la culpabilité de l’homme « réside dans le principe sensible, dans la vie, dans l’âme enfin si soigneusement distingués par les anciens, de l’esprit ou de l’intelligence ». C’est sur ce principe « que tombe la malédiction avouée par tout l’univers ».
C’est lui que saint Paul, selon Origène, a en vue quand il dit que «la chair à des désirs contraires à ceux de l’esprit » (Galat., v. 17) ; ces mots doivent « s’entendre non de la chair proprement dite, mais de cette âme qui est vraiment l’âme de la chair ; car nous en avons deux, disent certains, l’une bonne et céleste, l’autre inférieur et terrestre… et nous croyons que cette âme de la chair réside dans le sang » (de Princ. III, 4, Opp.). Ce principe qui a des désirs contraires à ceux du principe intellectuel, ne peut être la chair matérielle, le corps physique ; dans ce cas en effet il ne pourrait ni penser, ni sentir, ni par conséquent « troubler l’esprit dans ses opérations ». Convaincus que le mal s’incarnait en quelque sorte dans le principe médian, vital, animal, sensible, les Egyptiens, « que l’antiquité savante proclame les seuls dépositaires des secrets divins » enlevaient du corps à embaumer tous les viscères, les plaçaient dans un coffret qu’ils tendaient vers le ciel en déclarant au nom du mort : « Si j’ai commis des fautes, je n’ai point agi par moi-même, mais par ces choses ». Et tout de suite on jetait ces choses dans le fleuve, comme la cause de toutes les fautes que l’homme avait commises20. « Les Egyptiens ne se montraient-ils pas alors » de véritables précurseurs de la révélation qui a dit anathème à la chair, qui l’a déclaré ennemie de l’intelligence, c’est-à-dire de Dieu, et nous a dit expressément que tous ceux qui sont nés du sang ou de la volonté delà chair ne deviendront jamais enfants de Dieu21. »
Ne comprenons-nous pas mieux maintenant l’idée universelle du rachat par le sang ? Le principe vital dont nous parlons réside en effet dans le sang22. L’homme étant coupable par ce principe vital et sensible, l’anathème tombe donc sur le sang, et c’est « une opinion aussi ancienne que le monde, que le ciel irrité contre la chair et le sang, ne peut être apaisé que par le sang ; et aucune nation n’a douté qu’il n’y eut dans l’effusion du sang une vertu expiatoire23 ». C’est la raison profonde des sacrifices religieux, des guerres, des échafauds, conséquences de la réversibilité24. C’est la base des mystères de la Rédemption et de l’Eucharistie.
La doctrine de la triple constitution de l’homme et des deux âmes, paraît donc à Joseph de Maistre solidement justifiée et conforme à une tradition philosophique, religieuse et occulte, d’une continuité impressionnante (A de Margerie, op. cit., p. 379 et suiv.).
On lui a pourtant reproché d’avoir soutenu cette thèse. Le concile de Vienne, au XIIIe siècle, aurait condamné cette théorie, et cette censure a été renouvelée au XIXe siècle par Pie IX. A vrai dire nous croyons qu’il n’y a là qu’un simple malentendu. Que l’âme soit ou non la forme du corps, au sens aristotélicien, ce n’est point ce qui est ici précisément en question ; et,’ quelle que soit la vogue acquise depuis un demi-siècle par le péripatétisme, il ne saurait, pensons-nous, être question de mêler obligatoirement au dogme tel ou telle philosophie. Aussi bien entre Aristote et Platon, entre le grand rationaliste et le grand mystique de l’Antiquité, Maistre n’hésite-t-il point. Il préfère toujours l’auteur du Timée pour cela même qu’il le trouve le moins grec, parce qu’il voit dans sa doctrine maintes pierres d’attente de la doctrine chrétienne et la source presque inspirée25 de la grande synthèse néoplatonicienne.
Maistre a d’ailleurs lui-même répondu d’avance à l’objection. Il « n’ignore pas que la théorie des deux âmes fut combattue dans les temps anciens ». Mais, après avoir demandé si le tribunal était compétent, il ajoute avec raison, qu’il « suffît de s’entendre ». Que l’homme soit un être résultant de l’union de deux âmes, c’est-à-dire de deux principes intelligents.de même nature l’un essentiellement bon et l’autre radicalement mauvais, telle semble avoir été l’opinion condamnée à juste titre, comme entachée de manichéisme. Il ne s’agit en aucune façon de donner à l’homme deux natures, ni de proclamer l’égalité du bon et du mauvais principe. Ormuzd et Ahriman ne se présentent pas dans le monde et dans l’homme sous un “aspect aussi tranché et aussi simpliste. Leur compénétration dans les êtres contingents est encore plus intime. Il n’y a pas deux créations contiguës ; mais la création, œuvre bonne du Dieu unique, a été défigurée par l’intervention du mal, a été dégradée par la chute, au point que l’homme devient la chimère, le monstre, le chaos, le paradoxe dénoncé par Pascal (Pensées, art. VIII).
Mais le problème du mal n’est qu’un des aspects de celui qui nous occupe, et un argument de plus en faveur de la triple constitution de la personne humaine. Ce que Maistre déclare ne jamais pouvoir admettre, à moins que « la seule puissance qui ait une autorité légitime sur la croyance » ne l’avertisse qu’il se trompe, – (et dans ce cas, assure-t-il, « je ne balancerais pas un instant et au lieu que, dans ce moment, je n’ai que la certitude d’avoir raison, j’aurais alors la foi d’avoir tort ») – c’est simplement ceci : l’intelligence n’est pas la même chose que le principe sensible ou vital et ce dernier n’est ni matériel, ni « absolument dénué de connaissance et de conscience (Sacrifices, ch. I).
Sur ce point encore, Maistre est en réaction contre le mécanisme cartésien. Son génie réaliste et symboliste à la fois, ses tendances pragmatistes et mystiques, sa doctrine du sens commun, tout l’écartait de l’étonnante perversion intellectuelle qui conduisait les raisonneurs du XVIIe siècle à rouer de coups leurs chiens en manière de conclusion d’un syllogisme qui refusait aux animaux l’âme vitale et sensitive, et, par débauche d’abstraite logique, aboutissait à d’insolubles contradictions dogmatiquement dédaignées ou superbement éconduites. Nous croyons comprendre l’énigmatique phrase isolée de Pascal : « Je ne puis pardonner à Descartes » (Pensées, art. VIII).
Enfin Maistre se rassurait en invoquant les textes de l’Ecriture et des Pères où il lui semblait trouver une preuve de l’accord en cette matière de la révélation et de la philosophie antique ou moderne. Saint Augustin ne distinguait-il pas en effet les deux puissances de l’homme lorsqu’il appelait Dieu « pain mystique de mon âme, époux de mon intelligence » (Confessions, I, XIII, 2) ? Et saint Paul ne nous apprend-t-il pas que « la parole de Dieu est une épée vivante qui pénètre jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit, et discerne la pensée du sentiment26 ? »
Quelle que soit la constitution de l’âme humaine, l’existence d’un principe immatériel dont le corps est à la fois l’instrument et la prison, la spiritualité et l’immortalité de ce principe, sont admises par Maistre comme les données primordiales de la philosophie même naturelle. L’esprit est pour lui, nous l’avons vu, la clef de l’univers, le principe du mouvement, la source de la vie il n’est à ses yeux rien d’apparent à quoi ne corresponde une réalité spirituelle. Tout a été fait par et pour l’intelligence ; la vie, la conscience et la pensée, forme suprême de la vie, se trouvent partout. Le chant harmonieux des sphères est un hymne lucide qui s’adresse à l’intelligence. Le hasard aveugle n’existe pas.La volonté est à l’origine de toute force. Le « silence éternel des espaces infinis » l’effraierait lui aussi, s’il ne trouvait partout, plus ou moins personnelle et consciente, la Vie.
Mais le sort de l’âme humaine soulève les problèmes les plus pathétiques. Et Maistre jette dans l’inconnu les coups de sonde les plus hardis. Sa théorie de l’unité tendrait naturellement à le faire pencher vers certaines hypothèses. Celle de la préexistence des âmes le séduit : il voit le parti qu’on en pourrait tirer pour expliquer notamment le péché originel, l’unité du genre humain, la chute et la rédemption.
Faut-il admettre l’unité primitive de l’humanité avant la chute l’existence antérieure de toutes les âmes, par la suite divisées, au sein de l’Adam Kadmon des Kabbalistes27 ? Cette théorie rentrerait assez logiquement dans le cadre de la métaphysique de Maistre, mais celui-ci ne veut rien affirmer imprudemment. Il considère en tout cas Dieu, avec Malebranche, comme le lieu des esprits, avec Mme Guyon et Fénelon, comme l’océan dans lequel toutes les âmes aspirent à se fondre, fleuves se hâtant vers la mer. Mais toutes ces eaux « ne peuvent se mêler à l’océan sans se mêler ensemble, du moins d’une certaine manière que je ne comprends pas. » Il se représente une Jérusalem céleste où tous les habitants, pénétrés par le même esprit, se pénétreront mutuellement et se réfléchiront le bonheur. Il n’ose « toucher à la personnalité, sans laquelle l’immortalité n’est rien28 », mais il est toujours ramené à « cette mystérieuse unité » future des hommes entre eux, lorsque le mal étant anéanti, il n’y aura plus de passion ni d’intérêt personnel, et de l’homme en soi-même, lorsque sa double loi sera effacée et ses deux centres confondus.
La réintégration des âmes en Dieu et dans leur unité primitive, les comprendra-t-elle toutes, ou bien un plus ou moins grand nombre en sera-t-il exclu ? Problème angoissant, qu’aux deux extrêmes les Jansénistes résoudront en croyant petit le nombre des élus, Origène au contraire et les universalistes en avançant que la Rédemption finira par sauver tous les hommes, comme la chute les a tous perdus. La croyance ordinaire pense plutôt que le plus grand nombre évitera la damnation, – sinon le mal triompherait et l’œuvre du Christ serait trop imparfaite -, mais admet un résidu de réprouvés obstinés librement dans le mal, ne laissant plus aucune « prise à l’amour » (Soirées, 5e entr.), et qu’il faut retrancher comme le jardinier coupe le bois mort, comme la société condamne à la peine capitale le criminel endurci, car le libre arbitre de l’homme lui permet de « se faire tout mal », de se refuser jusqu’au bout au pardon. Les théologiens ont discuté longuement quant au sort des damnés. Le « conditionalisme », qui dans les milieux protestants jouit depuis quelque ‘ temps d’une certaine vogue, suppose leur anéantissement final ; l’immortalité serait alors, non un caractère inaliénable de l’âme humaine, mais une victoire conditionnelle, le fruit de la communion au principe du Bien, de la Vérité, de la Vie. Les branches pourries de l’arbre humain tomberaient comme du bois mort. L’orthodoxie admet un enfer éternel pour les volontés qui resteraient irrémédiablement perverses, des limbes, séjour imprécis mais plutôt heureux de ceux que leur seule ignorance involontaire des moyens de salut écarte de la présence béatifique, un purgatoire temporaire et purificateur entre la vie terrestre et la vie proprement éternelle du paradis. Avec le bon sens, Maistre admet que les peines doivent être proportionnées aux fautes (Ibid., 8e entr.) ; et il admire la triple ordonnance de la « cité des esprits » en églises militante, souffrante et triomphante (Ibid., 10e entr.). Quant à l’éternité des châtiments infernaux, bien qu’il en voit des symboles dans toutes les mythologies29, il ne se soumet pas sans quelque peine30 et sans quelque angoisse aux définitions dogmatiques, et demande surtout qu’on ne leur fasse pas dire plus qu’elles ne signifient réellement. Bien qu’il n’y ait pas identité, il y a néanmoins une certaine relation entre ses idées sur l’unité, et « l’universalisme » d’un Origène ou d’un Martinez de Pasqually, qui tous deux l’influencèrent fortement. Le parallélisme de la Chute universelle par la faute d’un seul et de la réintégration universelle par les mérites d’un seul a quelque chose de grandiose ; et puisque Christ est mort pour tous, ne peut-on point être tenté, si l’on n’insiste point assez sur la puissance imprescriptible du libre arbitre humain, de se refuser à poser aucune limite à l’efficacité générale de sa Rédemption ?
Maistre remarque d’ailleurs que l’éternité des peines n’a point toujours été un dogme incontesté ; que d’anciens docteurs31 ont attribué aux prières des vivants le pouvoir de soulager les réprouvés eux-mêmes, que certaines phrases liturgiques, «vestiges de ces anciens doutes », semblent difficilement conciliables avec la « croyance actuelle » selon laquelle le sort de l’âme serait fixé définitivement aussitôt après la mort et ne pourrait être que l’expiation temporaire, l’immédiate félicité ou la damnation éternelle32. L’expression du canon de la Messe priant pour les fidèles défunts qui dormiunt in somno pacis n’implique-t-elle pas chez les premiers chrétiens l’idée, dont on retrouve encore des traces chez les Apôtres33, chez Tertullien34, chez Tatien35, d’une sorte « d’anéantissement temporaire », d’un long sommeil que terminera la Résurrection ? La résurrection des corps glorieux est en effet une condition mystérieuse mais nécessaire de la parfaite béatitude36.
Ce que Maistre demande surtout c’est qu’on reste en cette matière sur une sage réserve, sans solliciter les textes dogmatiques et sans prétendre imposer de téméraires précisions. Que signifie le mot : éternel, parfois synonyme de : séculaire37 ? Que veulent dire les expressions mystérieuses : perpetuas æternitates? in æternum et ultra38 ? L’intelligence humaine ne peut espérer tout comprendre. Maistre se moque doucement de certain écrivain espagnol39 qui décrivait l’enfer « comme s’il en était revenu. » Trop de prédicateurs et de théologiens font souvent de même. Le dogme nous indique ce que nous devons faire pour être sauvés, et nous invite à prendre au sérieux cette question. La foi nous éclaire sur nos devoirs et tend à perfectionner notre conduite. Mais tout n’est pas révélé à notre intelligence. La justice et la miséricorde divines ne sauraient être contestées même si nous en ignorons les voies secrètes (Soirées, 8e entr.). Aussi bien « le grand point est de savoir que le pardon n’est refusé qu’à celui qui ne l’a point demandé40. »
Microcosme, petit monde ; microcosme, grand univers. Cette notion se retrouvera chez n’importe quel auteur ésotèrique ou à tendances ésotériques. ↩
Cf. R. Michaud, article cité de la Revue de littérature comparée. Juillet-septembre 1921. ↩
Platon insiste sur les rapports entre la nature de l’âme humaine et la nature universelle. ↩
Soirées, 8e entr. Sur la philosophie des nombres, cf. Lacuria. Les harmonies de l’Etre. 1899: 2 vol. in-8, et l’ouvrage de R. Allendy. Le symbolisme des Nombres, 1921. Saint-Martin a aussi écrit un traité Des Nombres. L’arithmomancie appliquerait l’étude des nombres à la prévision de l’avenir et de la destinée humaine dit M. Allendy. Elle peut être souvent fantaisiste, croyons-nous. Notons toutefois que des mathématiciens pensent que la loi des grands nombres de Bernouilli, dont la loi d’hérédité de Mendel est un cas, pourrait s’appliquer au développement des langues et des masses humaines. Cf. Scientia. déc. 1921. ↩
Les Vers Dorés de Pythagore expliqués et traduits… par Fabre d’Olivet, nouv. édit. suivie des Commentaires d’Hiéraclès, p. 183 et p. 350 et suiv. ↩
Balzac, analysant dans Louis Lambert la doctrine théosophique qui lui inspira le roman swedenborgien Seraphitus-Seraphita, écrit : « Il existe trois mondes, le naturel, le spirituel et le divin. Il existe donc nécessairement un culte matériel, un culte spirituel, un culte divin, trois formes qui s’expriment par l’action, par la parole, par la prière, autrement dit, le fait, l’entendement et l’amour. » Pascal plaçait de même l’ordre de la charité au-dessus de ceux de la raison et des sens. Maistre remarque que Saint-Martin comptait trois grades dans la vraie Franc-Maçonnerie, de même qu’il y a trois mondes dans l’univers. Cf. le Mémoire à Brunswick. ↩
Cf. Saint-Augustin, Cité de Dieu. Cf. aussi, par exemple, le chapitre consacré à ce sujet par Lacuria, dans Les Harmonies de l’Etre, t. I. ↩
Les occultistes, Corneille-Agrippa par exemple, emploient des tableaux analogiques, par lesquels apparaissent les correspondances dans les divers plans. ↩
Mélanges A (inédit), p. 62. ↩
Sagesse ; – saint Paul. – Saint Irénée dit que l’immensité du Père est mesurée dans le Fils, car le Fils est la mesure du Père puisqu’il le comprend. Selon saint Augustin, le Verbe de Dieu, qui est Dieu, est une certaine forme qui n’a pas été formée, et qui est la forme de toutes les formes. ↩
Lacuria, op. cit., ch. I, p. 17. La lumière est un effet harmonie, ajoute cet écrivain trop peu connu, et la plus vive lumière matérielle résulte de l’union, de l’harmonie de deux électricités ; de même que la lumière intellectuelle résulte du rapport de plusieurs termes. ↩
« L’homme est un en personne, il est triple en essence ; il a le souffle de Dieu ou l’âme, l’esprit sidéré et le corps ». Le Sepher Jesirah du IIe siècle dit de même : « Trois mères dans l’homme, la Tête, le Ventre et la Poitrine (On connaît l’analogue division platonicienne). La tête a été créée du Feu, le Ventre de l’Eau, et la poitrine, leur intermédiaire, de l’Esprit ». « La tête est le siège de l’âme intellectuelle, disait Robert Fludd (XVIe siècle) ; la poitrine de l’âme vitale et le ventre de l’âme sensitive. » Van Helmont, après lui, distinguait aussi, outre le corps, deux espèces d’âme : l’âme sensitive, commune à l’homme et aux animaux, l’âme intellectuelle, immortelle ou l’esprit qui n’appartient qu’à l’homme. De même Maïmonide, le grand théologien juif du XIIe siècle, discernait l’intelligence matérielle chargée de diriger le corps, et l’intelligence communiquée, indépendante du corps, émanation de l’intelligence universelle. ↩
Papus, Traité élémentaire, p. 385. ↩
« Kant, dit Fabre d’Olivet, contemporain de Maistre, (Vers Dorés de Pythagore, p. 320), a considéré l’homme sous trois modifications principales, qu’il a appelées facultés. J’ai dit que telle était la doctrine de Pythagore. Platon, qui suivait en tout la métaphysique de ce grand génie, distinguait dans l’homme, comme dans l’Univers, le corps, l’âme et l’esprit ; et plaçait dans chacune des modifications de l’unité particulière ou universelle qu’ils constituaient, des facultés analogues qui, se développant à leur tour, donnaient naissance à trois modifications nouvelles dont elles devenaient l’unité productrice ; en sorte que chaque ternaire se présentait dans son développement, sous l’image d’un triple ternaire, et formait par sa réunion à l’unité, d’abord le quaternaire et ensuite la décade. » ↩
La division est si peu artificielle que le système nerveux sympathique se compose des trois plexus solaire, cardiaque, cérébral. ↩
Papus. Traité élémentaire, p. 356-361. ↩
Le Forestier. Les Illuminés de Bavière, thèse 1914. p. 368. ↩
Eclaircissement sur les sacrifices, ch. I. Maistre cite à ce propos Josèphe, Ant. Jud., I, 1, §2 ; et Juvénal, Sat VI, 330 et XV, 148-149. Ailleurs (Délais de la justice divine, § 45 et note 46 et 47) ; il distingue encore l’âme sensible et l’âme intelligente avec Plutarque, le corps pour l’âme et le corps pour l’esprit ou corps glorieux avec saint Paul. ↩
Ibid. Réfutant Descartes et Arnaud, Maistre loue par contre le physiologiste Barthez (Nouv. éléments de ta science de l’homme, Paris, 1806, 2 vol. in-8) d’affirmer nettement l’existence du principe vital, indépendant du corps et de l’âme pensante, cause immédiate de nos mouvements et de nos sentiments. ↩
Ibid. Citation de Porphyre (De abst. et usu anim., IV, 10) et de Plutarque, (De usu carn., Orat. II) cf. aussi : Mélanges A (inédit), p 585, 19 mai 1799. ↩
Ibid. « Le principe vital de toutes les créatures réside dans le sang », dit le Lévitique, XVII, 14. « Vous ne mangerez pas le sang des animaux qui est leur vie » dit la Genèse, IX, 4. « La vie de la chair est dans le sang ; c’est pourquoi je vous l’ai donné, afin qu’il soit répandu sur l’autel pour l’expiation de vos péchés car c’est par le sang que l’âme sera purifiée ». Lev. XIII. « Gardez-vous de manger le sang des animaux ; car leur sang est leur vie. » Deut. XII, 23, etc. Cf. aussi Schopenhauer, Le monde comme volonté, t. III, p. 69. « La volonté s’objective le plus immédiatement dans le sang… » ↩
Sine sanguine non fit remissio, dit saint Paul. Hebr. IX, 29. Saint-Martin écrit (Ministère de l’Homme-Esprit, p. 269) : « Le sang depuis le crime (d’Adam) était la barrière et la prison de l’homme, et l’effusion du sang était nécessaire pour lui rendre progressivement la liberté ». ↩
Sacrifices, chap. I, II, III ; Soirées, 2e, 7e entr. et passim. ↩
Du Pape, l. IV, ch. VII. On trouve dans Philon une curieuse théorie de l’inspiration : à côté de la révélation proprement dite biblique, le penseur alexandrin discerne chez les grands anciens tels que Pythagore et Platon, une révélation en marge et complémentaire de la première ; et son effort intellectuel est en grande partie de les amalgamer l’une à l’autre. Cf. sur ce sujet : M. Louis Philon le Juif ; Paris, Bloud, 1911, in-16. ↩
« Pertingens usque ad divisionem animae ac spiritus (Il ne dit pas de l’esprit et du corps), et discretor cogitationum et intentionum cordis. » Hebr. IV, 12. Xavier de Maistre partageait sur ce point les idées de son frère’. Dans son Voyage autour de ma chambre (ch. IV), il distingue la bête ét l’âme, et par bête désigne non le corps, mais l’anima, le principe sensible, » véritable individu, distinct de l’âme », et invoque l’autorité de Platon. – La théorie des trois principes se trouve dans Saint-Martin, notamment dans son traité Des lois temporelles de la justice divine, ( Œuvres posthumes, t, II, p. 84-149), traité que Maistre avait copié de sa propre main en 1797 sans en connaître encore l’auteur. Dans son traité De la prière, (OE. posth. t. II, p. 418), Saint-Martin écrit : « La Prière est la principale religion de l’homme, parce que c’est elle qui relie notre cœur à notre esprit ; et ce n’est que parce que notre cœur et notre esprit ne sont pas liés que nous commettons tant d’imprudences et que nous vivons au milieu de tant de ténèbres et d’illusions. Quand au contraire notre esprit et notre cœur sont liés, Dieu s’unit naturellement à nous, puisqu’il nous a dit que quand nous serions deux ensemble en son nom il serait au milieu de nous… » Cette idée, si proche de celle de Maistre, se raccorde, nous le verrons, avec celles que nous étudierons dans la troisième partie à propos du problème du mal. ↩
L’Adam Kadmon a précédé la chute. L’Adam Protoplaste, l’Homme universel de Fabre d’Olivet serait le principe des âmes différenciées. Selon Guill. Postel (Clavis Absconditorum…) l’origine de l’âme est un mystère qui doit rester caché jusqu’à la fin des temps actuels et la future révélation de l’Esprit. ↩
Et pourtant, se dit-il, « une infinité de spectres lumineux de même dimension, s’ils viennent à coïncider exactement dans le même lieu, ne sont plus une infinité de spectres lumineux «.Soirées, 10e entr., cf. ci-dessous, IVe part.,ch. I. C’est là en effet l’un des plus grands mystères. Peut-être un passage admirable de l’étude de M. Blondel parue dans le Procès de l’Intelligence, p. 297-298, pourra-t-il nous aider dans une certaine mesure à l’éclaicir. Le grand philosophe voit dans l’hétérogénéité de la connaissance notionnelle et de la connaissance réelle, (cf. ci-dessus, IIe part., ch. II) un moyen d’entrevoir comment on peut sauvegarder à la fois l’Unité et la Personnalité, comment les âmes pourraient être multiples dans l’Un, êtres dans l’Etre, intelligences dans l’Intelligence. « La connaissance notionnelle reste nécessaire pour que nous ayons la conscience durable que l’autre est nôtre et que nous nous possédons en le possédant. » Elle exprime l’activité propre de l’homme individuel. En effet, « la connaissance complète, pour être et rester connaissance, implique une distinction préalable et permanente dans l’union du connaissant et du connu, une activité coordonnée à une passion. » Comme d’ailleurs les deux connaissances notionnelle et réelle ne coïncident jamais complètement, l’essence n’étant jamais tout à fait identique à l’existence, ni l’intelligence à la substance, un progrès perpétuel est possible au sein de la perfection même. « En cette divine épopée de l’intelligence, tout est donc subordonné à cette fin sublime: multiplier l’Un et ramener ces multiples à l’Un, sans les empêcher d’être multiples… Rien que nous n’ayons reçu, mais rien que nous n’ayons à ratifier, à vouloir, à créer de nouveau. Passifs de Dieu, mais aussi auteurs en nous de Dieu, nous avons à faire fructifier infiniment le prêt qui nous est confié.. L’Intelligence est essentiellement vie, enrichissement, expansion, création. Elle fait œuvre divine. » ↩
Mélanges B (inédit), p. 533, 1806. ↩
Est-ce à ses propres hésitations que Maistre fait allusion quand, citant le père Berthier qui priait Dieu de lui inspirer la foi, qu’il avoue n’avoir jamais eue très intime, en l’enfer, il écrit en marge : « Cet exemple de franchise de la part d’un homme de génie et chrétien fervent est peut-être unique. » 11 (23) mai 1809 ; Mélanges B (inédit), p. 532. ↩
Saint Jean Chrysostome et saint Augustin. Mélanges B (inédit), p. 532, et Arnica collatio (Etudes, janv. 1897, p. 15). ↩
Mélanges B (inédit), p. 554 et Arnica collatio (Etudes, 1897, p. 15). ↩
« Ayant commencé d’exister et ayant été anéanti par la mort, j’existerai de nouveau tout comme j’ai commencé d’exister n’existant pas auparavant. » (Orat. ed Græse). Maistre juge ce passage décisif, Mélanges B (inédit), p. 554. ↩
Mélanges A (inédit), p. 554 et 557. «Les Incas lettrés croyaient à la résurrection des corps », selon G. de la Véga. Lucain, aussi, selon Bryant. ↩
Origène, Contre Celse ; I, III. Mélanges B (inédit), p. 567. ↩
Dan., XII, 3; Exode, XV, 18 ; Michèe, IV, 5. Mélanges B (inédit), p. 532. ↩
Le P. Feyjoo. Mélanges B (inédit), p. 536, 14 sept. 1802. ↩
Lettre du 16 (28) oet. 1814; OE. C, t. XII, p. 459 et 460. ↩