Gordon (RP) – Prefácio à revelação primitiva

Voici, pour plus de clarté, l’explication de quelques mots qui possèdent pour nous un sens nettement défini, mais pourraient prêter à confusion dans l’esprit du lecteur.

L’univers physique — dont nous prenons connaissance grâce aux impressions sensorielles ou sensations, que notre pensée objective en perception par insertion dans le Temps et dans l’Espace — est également, à nos yeux, l’univers du mécanisme, l’univers phénoménal, l’univers spatio-temporel, l’univers des séparations, l’univers des apparences d’existence, l’univers de la mâyâ. — C’est aussi l’univers humain, l’univers du Devenir, l’univers de la nature, l’univers des antinomies et de la dialectique.

Ce cosmos d’impressions sensorielles voile, dans les replis de lui-même, un cosmos tout autre, qui en est le principe et le support. Ne sachant quel vocable employer pour désigner ce monde qu’aucune image empruntée à l’univers des perceptions ne peut définir, nous recourons aux expressions cosmos dynamique, cosmos énergétique, cosmos ultraphysique, cosmos de l’être; nous disons en outre avec Platon, cosmos du Réel (l’autre univers n’étant qu’un monde d’ombres ou de fantômes). Chacun de ces termes se justifie aisément, puisque dynamis signifie puissance, et que l’univers réel sous-jacent aux forces physico-chimiques est effectivement celui d’où part la puissance, autrement dit celui d’où procèdent toutes les manifestations de l’énergie. Le nom d’univers énergétique convient pareillement, puisque, grâce à l’introduction des mathématiques, l’énergie s’y présente sous sa forme pure, et non plus sous ses aspects mécanisés, accessibles aux sensations. Ce monde de l’être et du dynamisme est essentiellement le monde de l’unité et le monde de l’indivision, ou de la non-séparation.

Par référence aux conceptions des peuplades dites « primitives » ou « sauvages », — conceptions qui ne diffèrent point foncièrement des vues propres aux « civilisés » — nous l’appelons aussi l’univers du mana.

Comme, d’autre part, dans le monde du Réel, la matière ne s’offre point sous l’aspect dense et opaque qui est le sien dans le monde spatio-temporel, nous avons cherché un vocable qui traduise sa modalité dynamique : nous n’en avons pas découvert de meilleur que celui de radiant. Nous disons donc matière radiante, parfois radiance. Ce qui équivaut à matière dynamique, à matière énergétique, et à matière réelle, matière propre au monde de l’être, ou de la surnature.

Contrairement à l’univers de l’Espace et du Temps, qui est celui des contradictions, du Devenir, et de la Dialectique, l’univers de l’être et du Réel est celui de l’unité, de l’identité, et de la Logique. Il n’existe pas, entre les deux, de continuité. Un hiatus les sépare. Passer de l’un à l’autre, c’est faire un saut. Nous avons emprunté à Schelling, pour désigner ce bond, l’expression saut dialectique; et le problème crucial est d’indiquer pourquoi un abîme sépare ainsi l’univers humain de l’univers de l’être. Il n y a pas, au demeurant, deux univers distincts, mais un seul et unique cosmos, dont l’un est la défiguration momentanée de l’autre, défiguration accomplie, nous verrons pour quelle raison, par la pensée de l’homme. C’est notre esprit qui constitue le lien entre les deux cosmos. Le cosmos humain, en tant qu’il ne s’identifie pas avec celui de l’être, est entièrement notre oeuvre.

Il s’ensuit, au surpluss que le cosmos de l’être est un cosmos transcendant, puisque le cosmos humain, tout en procédant de lui, et en ne possédant point d’autre réalité que lui, ne permet ni de le connaître dans son essence propre, ni, encore moins, de l’atteindre. Il n’en est pas moins, du reste, simultanément, un cosmos immanent à l’univers phénoménal, puisque, tout inaccessible qu’il est, il en forme le substrat, et en est le coeur même.

Il va enfin sans dire que l’homme n’offre pas, dans les deux mondes envisagés, le même caractère. Au sein de l’univers physique, il se présente comme un être animalo-humain, incapable d’atteindre les êtres et les choses par une autre voie que celle des impressions superficielles ou sensations. Par opposition, nous nommons être humain-surhumain ou surhomme, le Je qui se meut dans le domaine de la matière saisie comme radiante, autrement dit dans l’univers du dynamisme ou univers énergétique. Cet univers de l’être ou du Réel étant celui de la surnature, l’expression de surhomme nous paraît adéquate, sous réserve qu’on ne la contamine point par référence inconsciente à d’autres sens, dont le grave défaut est d’être imprécis.

Comme, au demeurant, il n’existe, et ne peut exister, nous venons de le mentionner, qu’un cosmos unique, celui de l’être, l’homme ne détient l’existence véritable que dans l’univers énergétique : c’est là seulement, dans le royaume de la surnature, à l’état de surhomme ou d’être humain-surhumain, qu’il possède son niveau normal. Dans sa condition présente, à l’état animalo-humain, il n’a que l’apparence de l’existence; c’est un être tronqué, puisque sa pensée ne rejoint pas directement ce qui est. Nous insistons sur ce point, en disant que l’homme actuel est, par essence, tératologique : c’est, en toute vérité, un monstre cosmique. Par définition, il ne peut jamais, dans l’univers physique, être une créature normale, puisque l’existence, que sa pensée postule, lui échappe inévitablement par transformation en devenir; dans sa situation animalo-humaine, il est un Je qui poursuit sans cesse l’être, mais ne peut jamais l’étreindre et s’y intégrer.

Au cours des millénaires, pour aider l’homme à se libérer de l’emprisonnement spatio-temporel et à s’incorporer au monde de la matière saisie comme dynamique ou radiante, s’est maintenu et diffusé le rituel de mort et de résurrection : il s’avère, en effet, indispensable de mourir à la mort, c’est-à-dire au monde des impressions sensorielles (qui est, par définition, celui de la mort) pour ressusciter dans le monde de l’être, où s’éteint tout devenir. Ce rituel, qui forme la substance de toutes les religions, est également appelé rituel initiatique. — Nous ne donnons, pour notre part, au vocable initiation, aucun sens hermétique ou ésotérique. Nous ne croyons pas, en outre, qu’il puisse se perpétuer d’initiation authentique en dehors des religions positives, qui en constituent le véhicule historique. Isoler l’initiation sous prétexte de la posséder à l’état pur et de la réserver à une élite, c’est quitter tôt ou tard le domaine du concret et de la vie. Nous employons donc le mot uniquement avec son sens étymologique, et sans jamais recourir à aucune nuance d’occultisme : l’initiation est le début (initium) de la vie nouvelle, de cet agrandissement de l’âme, par lequel la pensée se déprend de l’apparence d’existence, pour pénétrer dans (in-ire) l’empire transcendant de l’existence véritable ou existence pléniere.

Notons, pour terminer, que la conscience ne se rencontre pas seulement dans les limites du Devenir, de la scission spatio-temporelle, des antinomies, de l’opposition moi-non moi, ou sujet-objet, en d’autres termes dans l’univers physique, humain, ou spatio-temporel. Elle est inhérente à la pensée en tant que celle-ci affirme l’être. La conscience phénoménale n’est par suite qu’une modalité subalterne de la conscience réelle, où la pensée non seulement affirme l’être mais se soude totalement à lui : ici s’évapore ce halo de subconscient et de surconscient, par lequel on doit élargir la conscience phénoménale pour la relier à l’être, dont elle est partiellement scindée.

Ajoutons que le monde de l’être, tout aussi bien que celui du devenir, est, indissolublement, pluralité en même temps qu’unité. Mais la pluralité n’y prend point l’aspect d’une séparation spatio-temporelle, autrement dit d’un Multiple, d’un Divers, d’un éparpillement, d’un morcellement. Elle consiste en une pluralité de Je, qui s’approprient un être unique, un seul et même être, dont l’unité demeure absolue, et, rigoureusement, sans la plus imperceptible fissure, du fait que l’appropriation s’accomplit par le don intégral et le dépouillement sans réserve; en d’autres termes les Je possèdent l’être dans l’acte même par lequel ils le transfèrent, en totalité, à d’autres; l’être, au sein du Réel, demeure immuablement un, parce qu’aucun Je n’en retient pour lui la plus infime parcelle ; le Réel est donc la réalisation de l’unité par la pluralité grâce à l’amour sans limites. La différence capitale entre l’univers de l’apparence d’existence et l’univers de l’existence plénière consiste dans la forme que revêt, en chacun d’eux, l’amour.

Ces précisions, que nous fournissons en tête de nos ouvrages pour prévenir des malentendus, aideront le lecteur à mieux pressentir ce que fut la Révélation Primitive.

Pierre Gordon