Hani (Plutarco) – Salvar os mitos

La réflexion théologique de Plutarque sur le mythe osirien ne diffère pas essentiellement de celle qu’il a pu conduire sur la religion grecque, pour la raison bien simple que, partout où il rencontre des valeurs religieuses authentiques, il les respecte et les révère également. Dans tous les cas, le problème sur lequel il bute — après bien d’autres Grecs — est celui de la justification de la religion traditionnelle, dont les mythes et les rites paraissent parfois étranges, aberrants, voire répugnants. Il est pris ici dans l’étau d’une double exigence : sa piété lui prescrit de garder la foi traditionnelle (Dial, sur l’amour, 756 B), mais cette même piété et sa raison lui interdisent d’accepter tout ce qui, dans les mythes ou les rites, est incompatible avec la nature divine : c’est, on l’a vu, la raison pour laquelle il s’est refusé à traiter de certains épisodes de la légende osirienne.

En face du mythe son attitude, au départ, est assez bien dépeinte dans ces lignes : « Sans croire tout à fait aux légendes (mythois), je ne leur refuse pas non plus tout crédit » (Dial, sur l’amour, 762 A). Même les mythes d’Homère les plus décriés comportent un enseignement qui dépasse leur sens littéral : « On trouve chez Homère un (…) enseignement muet qui joint utilement de profondes spéculations aux mythes les plus durement calomniés » (De aud. poet., 4, 19 E). Une formule vigoureuse résume son point de vue : « Le mythe a pour caractère d’être un récit mensonger qui ressemble à un récit véridique » (Glor. Athen., 348 A-B). C’est pour cette part de vérité qu’il contient qu’il faut « sauver le mythe » : l’expression (ton mython anasozontes), qui se trouve dans la Vie d’Alexandre (ch. 35), est significative ; elle appartient au vocabulaire traditionnel de tous ceux qui ont essayé, comme Plutarque, de justifier le contenu des légendes mythologiques ; nous avons conservé, sous le nom d’Héraclite, qui est peut-être l’auteur des Allégories homériques, un recueil intitulé Guérison des mythes qui présentent des phénomènes contre nature. Cette thérapeutique du mythe devra s’inspirer fondamentalement du grand principe posé par Plutarque au début du de Iside : nous devons prier Dieu de nous accorder la connaissance de lui-même, car « la divinité ne peut concéder rien de plus auguste que la vérité », et encore : « C’est aspirer à la divinité que de désirer la vérité » (ch. i, 351 D ; ch. 2, 351 E). Plus loin, il définit l’usage philosophique du mythe : « Il ne faut pas traiter les mythes comme des histoires absolument authentiques, mais prendre en chacun ce qui est convenable et vraisemblable » (de Is., 58, 374 E). C’est donc qu’il y a de la vérité dans le mythe, et cela il l’affirme très nettement du mythe osirien, après l’avoir raconté au début du de Iside : « Le récit que je viens de reproduire ne ressemble nullement à ces fables (mytheumasin) inconsistantes, à ces fictions (plasmasin) creuses que poètes et prosateurs tissent, et tendent à la façon des araignées en tirant d’eux-mêmes leur point de départ, sans l’appuyer sur aucun fondement. Il s’agit de difficultés et d’accidents réels, tu le sais toi-même. Les mathématiciens disent que l’arc-en-ciel est un reflet du soleil et se pare de couleurs chatoyantes, quand le soleil se dérobe aux regards de la nuée ; de même, ce mythe est le reflet d’une histoire vraie qui renvoie la pensée sur des objets différents » (de Is., 29, 358 F/35g A). C’est la raison qui nous permet de faire le départ entre le vrai et le faux. Dans les mythes et les rites, il y a des symboles. Ces symboles (symbola) sont transparents ou obscurs et nous devons savoir les interpréter pour éviter de tomber dans la superstition ou l’athéisme. Comment? Il faut, en ces questions, prendre pour guide et initiateur (mystagogon) le raisonnement philosophique, afin de n’avoir que « des pensées saintes sur l’interprétation des doctrines (ton legomenon) et des rites (ton dromenon) » (de Is., 68, 378 A-B). Peut-être faut-il donner ici au mot « philosophie » un sens plus précis que le sens habituel et qui en rapproche le concept de celui de sagesse sacrée ; c’est un sens qu’il a, à l’époque de Plutarque, spécialement dans les milieux égyptiens ; en effet, à plusieurs reprises, le mot « philosophie » est associé au concept d’initiation. Par exemple, toujours dans le de Iside, Plutarque enseigne à Cléa qu’il faut recevoir et écouter sur les dieux ce qu’en rapportent « ceux dont l’interprétation du mythe s’inspire de la piété et de la philosophie » (de Is., 11, 335 C) ; et le sens auquel nous faisons allusion apparaît plus précisément encore dans un texte que nous citerons plus loin (de Is., 11. 355 C).

On a là la clé du traitement des mythes et des rites chez Plutarque. Il s’agit pour lui d’en dégager la vérité par l’exégèse allégorique.

Jean Hani