« Génies, anges et démons » (LGAD)
Une explication philologique semble apporter un peu plus de clarté dans la matière : « Tout ce qui se cache (ijtanna) à la vue est djinn, qu’il soit ange, djinn ou shaytan. Quant à la shaytana, c’est à la fois la vilenie et l’acuité d’esprit. C’est ainsi que l’on applique le mot shaytan aux rebelles parmi les hommes et les djinns, à la plante qui pousse rapidement et à tout homme ayant un esprit vif, prompt, intelligent. Le chien tout noir est dit shaytan dans le hadith; de même, le poète dit que le shaytan est « la nuit du pauvre ».
L’argument décisif prouvant qu’Iblis n’est pas des anges réside dans le fait qu’il a une descendance, alors que les anges n’en ont pas. Quand Dieu voulut créer une descendance et une épouse à Iblis, Il mit en lui la Colère ; une étincelle de feu jaillit de lui; son épouse en fut créée. Dieu aurait dit à Iblis : « Je ne créerai à Adam aucune progéniture sans que J’en crée également une pour toi; il n’y a aucun des fils d’Adam qui ne soit flanqué d’un shaytan qui lui est inséparable. »
Les shayâtîn sont mâles et femelles; ils s’accouplent et engendrent. Leur père Iblis a les deux sexes, le sexe mâle sur la jambe droite, le sexe femelle sur la gauche; il se féconde et pond dix œufs par jour. De chaque œuf éclosent soixante-dix shaytan et shaytâna.
Certains des fils d’Iblis occupent des fonctions particulières : Thabr (ou Bathr ou Lebtâ), préposé aux malheurs, inspire les mutilations de la figure, le déchirement des habits et les lamentations aux enterrements ; al-A’war, préposé à la fornication; Mabsût (ou Massût), préposé au mensonge; Dâsim, préposé aux querelles domestiques; Zalanbûr, préposé aux marchés où il fomente les rivalités, les discussions, les faux serments et les louanges exagérées de la marchandise ; Lâqîs et Walhân, préposés aux ablutions et à la prière ; al-Haffâf, préposé aux déserts; al-Abiyad qui suggère aux prophètes (comp. Cor. 22, 52-53) ; Matûs, préposé aux fausses nouvelles. On dit qu’Iblis pondit trente œufs, dix à l’Occident, dix à l’Orient et dix au milieu de la terre. De chaque œuf est sortie une espèce de shaytan, tels les ghîlân, ‘aqârib, qatârib, jânn et bien d’autres variétés.
Les shayâtîn se multiplient bien plus rapidement que les autres êtres animés, puisque le feu est leur nature et que le feu se propage vite s’il trouve de quoi s’alimenter. On fait dire au Prophète : Dieu hait le jeune homme oisif; car, si le jeune homme ne s’occupe pas extérieurement à quelque chose de licite, l’aidant dans la pratique de sa religion, le shaytan fait son nid dans son cœur et y pond ; ses œufs y éclosent et sa progéniture redouble; puis il pond à nouveau et se multiplie. La passion dans le cœur d’un tel jeune homme est pour le shaytan ce que les roseaux desséchés sont pour le feu. C’est pourquoi al-Hallâj? disait : « Ton âme si tu ne l’occupes pas dans ce qui est vrai, elle t’occupera dans ce qui est vain. »
Dans ce même ordre d’idée, un hadith, fréquemment cité, fournit une explication physiologique de la présence du démon dans l’homme : « Le shaytan, dit le Prophète, circule dans chacun de vous comme le sang circule (dans vos veines). » Le Ps. Balkhî ajoute : « Il est comme les accidents qui pénètrent dans nos corps et affectent nos âmes, tels la chaleur, le froid, la tristesse, la joie et ainsi de suite; nous ignorons comment ils parviennent à nous, bien que nous ayons la certitude qu’ils se produisent effectivement en nous. » Par ailleurs, Jésus, fils de Marie, aurait demandé à Dieu de lui faire voir la place du shaytan dans l’homme; Dieu la lui montra : « Sa tête, semblable à celle du serpent, est posée sur le cœur de l’homme ; quand ce dernier pense à Dieu, il l’en écarte ; dans le cas contraire, il la pose au milieu de son cœur. »