La raison que divinisèrent les Grecs jouait sur plusieurs faces parce qu’elle ne pouvait jouer à croix-pile. L’une de ces faces s’appelait Orphée, une autre Hermès. Les arts poétiques – la poésie, la musique, la peinture… – ont une raison à facettes, plusieurs faces, précisément parce qu’ils sont divins. Dans les nouveaux arts poétiques, la raison est divinisée en deux faces comme une pièce: l’une orphique et l’autre hermétique. Ce sont ces deux faces, quoique fort connues, qui surprennent et qu’on reproche à tous ceux qui s’essayent aujourd’hui, avec les meilleures ou les pires intentions, aux arts poétiques. On leur reproche surtout leur clair, net et si divinement idéal, rationnel, hermétisme. La pure et valeureuse audace de faire face, et rien qu’avec leur raison à divines facettes.
Le jeu de la raison est toujours un double jeu: celui de la pensée, face à face ou face contre face; jeu à qui perd gagne la raison: la vérité. Car la vérité a part au jeu, à la raison, la part divine. Les arts, poétiques, de faire la part du jeu, de la raison, sont vrais parce que divins, et à l’inverse, suivant le côté où l’on regarde la pièce. Les nouveaux arts poétiques jouent franc jeu: face à face avec la raison. La raison, si elle n’est rien d’autre, est du côté face, sinon, masque de passion, du côté croix, non pas divine mais humaine: par la croix Dieu s’est fait humain. Les prétextes les plus purs de raison que trouvent à présent les arts poétiques pour jouer ainsi face à face, doublement, et pas à croix-pile ou pile ou face, sont divins, pour que l’on parie à volonté soit pour Hermès soit pour Orphée; pour celui qui revient de l’enfer en fuyant une ombre ou pour celui qui nous guide pour aller vers lui, d’une manière labyrinthique, en quête d’une ombre perdue. Et cet à présent, dont je parle, la divine façon d’agir des arts nouveaux, se réfère d’une manière chronologique, c’est-à-dire avec une logique temporelle de la durée, au plus vieux moment du monde, qui est le nôtre, celui que nous vivons à présent.
Un visionnaire du XVIIIe siècle, Swedenborg, écrivait: «J’ai su que les hommes de la plus ancienne Eglise, celle qui existait avant le Déluge, possédaient un génie si céleste qu’ils parlaient avec les anges et communiquaient avec eux par correspondances; de la sorte, ils devinrent si savants que non seulement ils pensaient naturellement à tout ce qu’ils voyaient sur terre, mais aussi, et en même temps, spirituellement, et, par conséquent, en coexistence avec les anges». Dans cette coexistence ou conjonction, comme dit le texte, car ce n’est pas exister, coexister, mais jouer, conjuguer, jouer à deux faces avec la raison, la naturelle et la spirituelle, d’une manière divine ou angélique, dans cette conjonction se trouve le sens, le double sens de la pensée poétique, la pensée poétiquement pure ou immortelle nouveau-née que les Grecs appelèrent Hermès.
La raison d’être de tous les arts poétiques est cette pensée nouveau-née de la raison divine, cette pensée pure, d’où vient que les arts soient toujours nouveaux parce que poétiques, venant toujours, hermétiquement, de naître. C’est que nos arts poétiques sont vieux parce qu’ils sont de maintenant, d’aujourd’hui, et nouveaux, quand c’est le cas, parce qu’ils sont tout simplement antédiluviens, malgré la superstition vitaliste dont a souffert cette première partie du xxe siècle, qui a voulu incorporer l’esthétique à une histoire et à une psychologie superstitieusement vitalistes. Pour mettre les choses au clair, il suffira avant tout d’affirmer que notre point de départ ou notre position formelle est antivitaliste, soit prétend à la vérité contre la vie, c’est-à-dire contre tout critère vital d’évaluations spirituelles.