TAO TE CHING II
La conscience des êtres n’est déterminée que par l’appréciation et la diversité de leurs actions. Les êtres croient connaître et désirent le Beau et le Bien ; s’ils agissent, ils agissent suivant leurs connaissances et leurs désirs ; ils croient donc agir le Beau et le Bien, suivant du moins les conceptions qu’ils s’en sont faites. Mais, s’ils agissent une chose, il y a une autre chose, qui est le contraire de la première, et qu’ils n’agissent pas ; cette chose, étant le contraire de ce qui est dit le Beau et le Bien, est le Laid et le Mal ; d’où il ressort que c’est l’action qui différencie et spécialise les états de la conscience des êtres et que c’est la belle action qui crée le Laid, et la bonne action qui crée le Mal. Ainsi, ces notions sont dépendantes l’une de l’autre, déterminées l’une par l’autre, inexistantes l’une sans l’autre ; c’est-à-dire qu’en vérité elles n’existent point au regard de ce qui Est, et n’empruntent leur apparence de réalité qu’à des états de la conscience, ce qui est illusoire au point de vue de l’Être. Toutes les autres relativités de l’univers se déterminent ainsi l’une l’autre, et n’ont pas davantage d’existence réelle, mais bien seulement des rapports factices, qui ne durent que pendant l’action qui les crée.
Ainsi, l’action, à cause qu’elle détermine, et à cause des spécialisations qu’elle fait aux choses qu’elle détermine, est chose inférieure ; aussi, le sage qui n’est pas inférieur et qui ne veut pas le devenir, n’agit pas. Mais cette non-action, en similitude de celle de la Voie, n’est pas une inaction ; car la Voie, qui ne participe ni aux mouvements, ni aux idées, ni aux travaux, ni aux mérites des êtres, les a produits ; c’est-à-dire qu’elle est le mécanisme grâce auquel les êtres peuvent se mouvoir, penser, travailler et mériter. Aussi, tandis que les êtres, grâce à la Voie, se développent, elle ne se développe point, et demeure immuable. Elle a fourni la cause, et se désintéresse des objets ; les êtres sont sujets de la cause et dispensateurs des effets, dans la Durée. Telle est la vraie distinction des Choses. C’est pourquoi on dit que la Voie est semblable à celui qui aurait fourni le plan, les matériaux d’une maison et la force pour la construire, et ne saurait y habiter.