TAO TE CHING XL
L’homme qui suit la Voie est comme un arc. Vis-à-vis des supérieurs, il est la corde, qui, reliée aux deux extrémités de l’arc, suit son mouvement et sa direction ; vis-à-vis des inférieurs, il est comme l’arc qui dirige et protège les mouvements de la corde. D’ailleurs, c’est également vrai au graphique, car l’arc et la corde qui le sous-tend sont, sur le cercle tangentiel de la race humaine, les projections verticales de la vie individuelle et de l’évolution cyclique. Or, lorsque l’on tend un arc, la flexion de l’arc donne à la corde, ordinairement rigide, du jeu et de l’élasticité, et c’est par cette élasticité seule que l’arc peut remplir son office. De même, ce n’est que lorsque les hommes souples animeront de leur souplesse la rigidité des hommes durs, ce n’est que lorsque les hommes opulents donneront leur superflu aux hommes dénués, que l’univers se comportera suivant la Voie.
La pseudo-Voie que suivent d’habitude les hommes est précisément contraire : pour eux, « l’eau va toujours à la rivière ». Mais le Sage produit et ne s’attribue rien de ses créations, et ne veut même pas que, en signant ses œuvres, on le reconnaisse aux marques de sa sagesse.
On voit comment cette page transporte dans le plan social, et dans le plan même de l’économie pratique, le principe métaphysique de l’immobilité réfléchie et de l’inaction volontaire. Non-posséder est la forme sociale du non-agir. Mais il faut remarquer ici l’une des rares concordances, du moins à l’extérieur, du Taoïsme avec le Boudhisme, quand il est affirmé que l’Univers ne sera conforme à la Voie qu’autant que tous les individus communieront à une égale souplesse, c’est-à-dire à une égalité de vie. C’est ici, au plan de la logique, l’axiome sentimental : « L’Univers ne sera pas sauvé, s’il est un seul homme qui ne soit pas sauvé ».