Ses fidèles se nomment eux-mêmes chiites, ce qui est une appellation laudative, tandis que leurs adversaires les nomment rawâfiz (râfizis) dans une intention de dénigrement. Tandis que ces gens qui se prétendent les représentants de la sunna, de la communauté islamique disent qu’Abou Bakr fut imâm après le Prophète, ceux qui se disent les représentants de la foi — les Chiites — disent que cet imâm fut légitimement Ali, émir des croyants. Tout groupe (ethnique ou religieux) demande à ses adversaires l’explication du nom qu’ils lui infligent. Ainsi, les nawâcib1 disent : « Si, en nous donnant ce nom, vous voulez dire que nous avons établi (naçb) l’imâm, ce nom n’est pas péjoratif à nos yeux, il est même laudatif ; mais si vous voulez dire que nous avons institué (naçb) l’hostilité à l’égard de la famille du Prophète, ce nom devient péjoratif et cette accusation est sans fondement. » Nous leur répondrons ceci : « Au contraire, elle est fondée ; en effet, aider une personne qui annule les droits d’une autre, c’est injuste. Ce qui nous semble régulier, c’est que l’imamat dépende du libre-arbitre ; or votre libre-arbitre s’exerça au profit d’Abou-Bakr dont l’installation dans la dignité de calife prouve que les droits d’un autre furent détruits. Ce que les Omayyades commirent envers la famille du Prophète, ni les Turcs de Caboul ni les Byzantins ne se le permirent envers les musulmans : or vous considérez les Omayyades comme bons musulmans, vous jugez illicite de les maudire et vous déclarez mécréant quiconque les maudit. Quand Moawiya prit le pouvoir, il donna l’ordre de maudire la famille du Prophète, en pays d’Islam, du haut des chaires et des minarets ; durant un millier de mois, ces propos indignes furent proférés, hors les deux années du règne de Omar ibn Abd-ol-Aziz ; ensuite on recommença. Si donc cette hostilité à l’égard du calife Ali et de la famille du Prophète est répréhensible, pourquoi considérez-vous les Omayyades comme bons musulmans ? pourquoi celui qui les maudit serait-il mécréant ?… Tous ceux qui sont justes et raisonnables, qui sont soucieux de leur salut en l’autre monde ne doutent pas que celui-là soit un mécréant qui maudit le calife Ali et la famille du Prophète, qui fit mettre à mort (Hosaïn) le descendant de Mahomet et qui fit emmener captives, cheveux épars, les femmes de la Sainte Famille. Il faut vraiment que celui qui considère les Omayyades comme bons musulmans croie qu’il n’y a pas d’enfer, que les menaces de châtiment formulées dans le Coran sont des mensonges et que tous les mécréants iront en paradis ! » (Id., p. 14, 1. 10.)
Si les Chiites demandent à leurs adversaires ce qu’ils veulent dire en les nommant Râfizis et en employant à leur sujet le mot rafz, leurs adversaires diront nécessairement : « Le mot rafz signifie rejeter, délaisser ; le terme technique râfizi, « qui rejette » désigne celui qui reconnaît Ali, non Abou-Bakr comme imâm après la mort de Mahomet. » Mais nous leur répondrons : « Même en donnant au mot rafz le sens de rejeter, il est licite que les Chiites soient nommés râfizis — ce mot signifiant : « ceux qui ont renoncé au mensonge pour rechercher la vérité ». Si vous voulez désigner ceux qui ont fait le contraire, ce mot s’appliquerait bien à ces gens. Vous ne trouverez jamais que les Chiites ont fait cela ; et cela n’est pas possible pour eux si vous parlez équitablement. Et si par le mot rafz vous voulez dire que les Chiites ont rejeté l’imamat d’Abou-Bakr, ils y verront une louange, non un blâme.» MORTAZA (ALAM-OL-HODÂ), Introduction à la connaissance des doctrines religieuses des humains, p. 16, 17.
Nawâcib désigne ordinairement la secte des Kharedjites (cf. H. Massé, L’Islam, p. 144) ; mais en ce passage, il semble bien qu’il s’agisse des Sunnites en général, comme par exemple dans le titre de l’ouvrage de Nour-ollah Chostari : Maçâib ol-nawâcib (Méfaits des Sunnites), réfutation des doctrines du sunnisme orthodoxe. ↩