Ivresse mystique.
Je suis si enivré, si éperdu d’amour ! je ne distingue plus de ma tête mes pieds, je ne distingue plus de mon Ami mon cœur, je ne distingue plus de la coupe le vin. O mon esprit errant ! va-t-en ; laisse-moi donc en ce travail : je suis ivre et en désarroi ; je ne connais plus que l’Ami. Du rivage des apparences je plonge en la mer du réel ; terre et mer, où sont leurs limites ? je ne connais plus que la perle. Mon cœur est une cassolette et pour Lui je brûle d’amour, mon âme étant comme l’encens, mais je brûle sans reconnaître ni cassolette ni encens. Je suis cet ignorant qui sait, qui parfois voit puis ne voit pas ; aussi je pleure de regret sans distinguer l’argent de l’or. Quand mon œil va de tous côtés pour regarder dans tous les coins, je ne vois dans cet examen que les larmes de mes deux yeux. De tout sujet que tu voudras parle-moi selon tes arrêts ; je sais tout le Coran par cœur, mais n’en connais pas les feuillets. La clarté suprême a paru ! Qu’est idolâtrie ? Qu’est Islam ? Je suis la voie des bons croyants, mais je ne connais point d’impies. Je ne dis, tout comme mon maître, que : « Lui ! C’est Lui ! Lui seul qui est. » Que dire d’autre ? en l’univers je ne veux connaître que Lui. (Dawlatchâh, p. 333.)
Sache que l’Être auquel on attribue des noms est unique, malgré qu’il ait cent mille noms ; son existence est une : il a cent mille aspects. D’apparence, il est coupe et réellement vin ; cependant coupe et vin ne font qu’un à nos yeux. Deux n’est que l’unité multipliée par deux : comprends bien ! je te dis quelque chose de bon. Sans l’existence de cet Être, le monde n’existerait point ; mais qu’il existe et qu’il est bon, l’univers en fournit le signe. Le monde est la diffusion de Sa personne universelle ; tout ce que tu y vois procède de Sa bonté universelle. Son entité est essentielle ; la nôtre n’est que contingente ; cède à cette annihilation ! L’univers, en tant qu’entité, est un voile sur l’univers ; non pas ! c’est l’univers lui-même qui met un voile à l’univers, un voile éternel, ô mon âme ! ô toi l’ami de Dieu ! toi, la suprême preuve ! (Browne, III, p. 472.)