Pessoa: En ce monde de notre oubli

En ce monde de notre oubli,
Ombres nous sommes de nous-mêmes,
Et les gestes réels que nous faisons
Dans l’autre où, âmes, nous vivons,
Sont ici feintes et grimaces.

Tout est nocturne et confus
Dans nos échanges d’ici-bas
Projections, fumée diffuse
Du feu qui brille celé
Au regard qui donne la vie.

Mais l’un ou l’autre, en un éclair
D’attention vive, pourra voir
Dans l’ombre et dans son mouvement
S’ébaucher le dessein outre-monde
Du geste qui soutient sa vie.

Alors il découvre le sens
De ce qu’il singe ici-bas
Et tourne vers son corps perdu,
Image de l’entendement,
L’intuition d’un regard.

Du corps ombre nostalgique
Et mensonge conscient du lien
Qui l’attache à la merveilleuse
Vérité qui la jette, anxieuse,
Sur l’aire du temps et de l’espace.

Fernando Pessoa (1888-1935)