Pessoa: Initiation

Tu ne dors pas sous les cyprès
car il n’est de sommeil en ce monde…
Le corps est l’ombre des vêtements
qui dissimulent ton être profond.

Vient cette nuit qu’est la mort,
et l’ombre s’achève sans avoir été.
Tu vas dans la nuit, simple silhouette,
Égal à toi contre ton gré.

Mais à l’Hôtellerie de l’Épouvante
les Anges t’arrachent ton manteau.
Tu poursuis sans manteau sur l’épaule
avec le peu qui te protège.

Lors les Archanges du Chemin
te dépouillent et te laissent nu.
Tu n’as plus ni vêtements ni rien :
tu n’as que ton corps, qui est toi.

Enfin, dans la profonde caverne,
les Dieux te dépouillent plus avant.
Cesse ton corps, âme externe,
Mais en eux tu vois tes égaux.


Le Sort n’a laissé parmi nous
que l’ombre de tes vêtements.
Tu n’es pas mort sous les cyprès.
Néophyte, il n’est point de mort.

Fernando Pessoa (1888-1935)