Pessoa: Le quint empire

Tristesse de l’homme qui vit an logis,
satisfait de son foyer,
sans qu’un rêve, dans un envol d’aile,
fasse rougeoyer la braise
de l’âtre qu’il pourrait quitter!

Tristesse de l’homme heureux!
S’il vit, c’est que la vie s’étire.
Son âme n’abrite rien d’autre
que la leçon de la racine :
avoir un sépulcre pour vie.

Siècle sur siècle s’abolit
dans le temps qui par siècles passe.
Être insatisfait, c’est être homme.
Puisse la vision de l’âme
les forces aveugles subjuguer!

Et ainsi, révolues les quatre
phases de l’être qu’elle rêva,
la terre sera le théâtre
du jour clair, qui au fin fond
de la nuit noire a commencé.

Grèce, Rome, Chrétienté,
Europe – s’en vont toutes quatre
là où du temps va toute époque.
Qui vient vivre la vérité
pour quoi Don Sébastien a trépassé ?

Fernando Pessoa (1888-1935)