Saint-Martin: le temps et l’espace

L’homme, en s’unissant par une suite de la corruption de sa volonté aux choses mixtes de la région apparente et relative, s’est assujetti à l’action des différents principes qui la constituent, et à celle des différents agents préposés pour les soutenir, et pour présider à la défense de leur loi: et ces choses mixtes ne produisant par leur assemblage que des phénomènes temporels, lents et successifs, il en résulte que le temps est le principal instrument des souffrances de l’homme, et le puissant obstacle qui le tient éloigné de son Principe; le temps est le venin qui le ronge, tandis que c’était lui qui devait purifier et dissoudre le temps; le temps enfin, ou la région qui sert de prison à l’homme, est semblable à l’eau dont le pouvoir est de tout dissoudre, d’altérer plus ou moins vite la forme de tous les corps, et dans laquelle on ne peut plonger l’or sans qu’il n’y soit privé du dix-neuvième de son poids; phénomène qui, selon des calculs intègres, représente au naturel notre véritable dégradation.

En effet le temps n’est que l’intervalle entre deux actions: ce n’est qu’une contraction, qu’une suspension dans les facultés d’un être. Aussi, chaque année, chaque mois, chaque semaine, chaque jour, chaque heure, chaque moment, le principe supérieur ôte et rend les puissances aux êtres, et c’est cette alternative qui forme le temps. Je puis ajouter, en passant, que l’étendue éprouve également cette alternative, qu’elle est soumise aux mêmes progressions que le temps: ce qui fait que le temps et l’espace sont proportionnels.

Enfin, considérons le temps comme l’espace contenu entre deux lignes formant un angle. Plus les êtres sont éloignés du sommet de l’angle, plus ils sont obligés de subdiviser leur action, pour la compléter ou pour parcourir l’espace d’une ligne à l’autre; au contraire, plus ils sont rapprochés de ce sommet, plus leur action se simplifie: jugeons par là quelle doit être la simplicité d’action dans l’Etre Principe qui est lui-même le sommet de l’angle. Cet Etre n’ayant à parcourir que l’unité de sa propre essence pour atteindre la plénitude de tous ses actes et de toutes ses puissances, le temps est absolument nul pour lui.

Au contraire, tout le poids du temps se fait sentir à celui qui, étant né pour l’unité d’action, est placé à l’extrémité des deux lignes. Voilà pourquoi, de tous les êtres sensibles, l’homme est celui qui s’ennuie le plus; car étant celui dont l’action naturelle est aujourd’hui la plus distante de celle de son principe; étant le seul être dont l’action soit étrangère à cette région terrestre, cette action est perpétuellement suspendue et divisée en lui.

Louis-Claude de Saint-Martin