… Mais pourquoi défendent-ils qu’on marche par la raison ? C’est qu’ils n’ont pas fait attention que s’il y a une raison humaine qui est contre la vérité, il y a aussi une raison humaine qui est pour elle. Ils sont sages et prudents lorsqu’ils nous défendent la première espèce de raison, car, en effet, elle est l’ennemie de toute vérité, comme on le voit aisément aux outrages que font à cette vérité les docteurs dans les sciences externes qui sont l’objet et le résultat de la simple raison de ce monde naturel. La principale propriété de cette espèce de raison est de craindre l’erreur, et de ne se livrer qu’avec défiance à ce qui est la vérité. Toujours occupée de scruter les preuves, elle ne laisse presque jamais à l’esprit le temps de goûter le charme des jouissances vives. Elle a une marche ombrageuse qui empêche que le goût du vrai ne pénètre jusqu’à elle. Voilà ce qui entraîne à la fin les sociétés savantes dans l’incroyance, après les avoir retenues si longtemps dans les doutes.
Mais ils ne seraient plus ni sages ni prudents s’ils nous défendaient l’usage de la seconde espèce de raison, parce que cette seconde espèce de raison est au contraire le défenseur de la vérité. C’est l’œil perçant qui la découvre continuellement, et ne tend qu’à en faire apercevoir les trésors; et loin que sous ce rapport la raison soit condamnable, ce sera au contraire un crime pour nous de ne l’avoir pas suivie, puisque ce présent avait été fait à tous les hommes dans le seul et unique but qu’ils s’en serviraient, et dans la persuasion où est l’agent suprême que ce flambeau, en se présentant humblement au foyer de la lumière universelle, eût suffi pour nous apprendre tout, et nous conduire à tout.
En effet, comment l’agent suprême aurait-il pu exiger que nous crussions à lui et à toutes ses merveilles, si nous n’avions pas par notre essence tous les moyens nécessaires pour les découvrir ? Oui, la vérité serait injuste si elle n’était pas clairement et ouvertement écrite partout aux yeux de la pensée de l’homme. Si cette éternelle vérité veut être crue, elle et tout ce qui dérive d’elle, c’est qu’il nous est donné de pouvoir à tous les pas nous assurer de son existence; et cela, non pas sur le témoignage de la simple assertion des hommes, ni des ministres mêmes de la vérité, mais par des témoignages directs, positifs et irrésistibles.
Car la croyance que vous faites naître quelquefois dans la pensée de vos prosélytes, quelque utile qu’elle soit, est bien loin de cette certitude qui doit s’appuyer sur de pareils témoignages. Ce n’est pas une chose rare que de rencontrer des hommes sur la croyance desquels on puisse exercer quelque empire; ce n’est pas même une chose rare que d’entendre dire dans le monde qu’il n’y a rien de plus aisé que de croire; on y trouve même des gens qui prétendent qu’ils croient, en effet, tout ce qu’ils veulent.
J’accorde cela pour la croyance aveugle, parce qu’elle ne consiste qu’à écarter l’universalité, et à ne saisir qu’un seul point. Dès lors, on est dispensé de toute comparaison; et même par cette loi, plus on descendra dans les particularités, plus on sera disposé à croire, ce qui explique le fanatisme des superstitieux, qui est en raison directe de leur ignorance.
Mais je le nie par rapport à la certitude qui est l’opposé de la croyance aveugle, parce que l’on n’arrive à cette certitude qu’à mesure que l’on monte vers l’universalité, ou vers l’ensemble des choses, attendu que lorsque l’on fait des confrontations dans cet ensemble des choses, et qu’on y découvre l’unité ou l’universalité de la loi, il est impossible que l’on n’ait pas la certitude. Et, en effet, cette certitude est l’opposé de la croyance, parce qu’elle est en raison directe de l’élévation et des connaissances.
Ainsi j’accorde que rien n’est plus aisé que de croire, mais qu’il n’est pas si aisé d’être sûr. Les gens du monde lancent de temps en temps de ces propositions spécieuses qu’ils croient péremptoires, parce que personne ne leur répond. Ce sont des espèces de réactifs chimiques qu’ils introduisent auprès du vrai, et avec lesquels ils cherchent à le précipiter au fond du vase. Mais on voit qu’il n’est pas impossible d’échapper à ces subterfuges.
En général les hommes ne s’enfoncent, soit dans les croyances aveugles, soit dans les défiances, soit même dans le scepticisme, que parce qu’ils s’en tiennent à contempler les opinions ténébreuses ou impérieuses des hommes, leurs systèmes incohérents, et leurs passions; en un mot, parce qu’ils ne regardent que dans les hommes, en qui tout est divers et en opposition. S’ils regardaient dans l’homme, ils y verraient la racine de toutes les vertus, de toutes les lumières et de toutes les harmonies ; enfin, ils y verraient le système divin lui-même, et ils se trouveraient dans une uniformité de principes et de certitudes qui les mettrait bientôt tous d’accord. N’éloignons donc pas celle de nos deux raisons humaines qui a le pouvoir d’atteindre à la vérité.
(Ministère de l’Homme-Esprit.)