Sonnet I

Par la parole, par l’écrit ou par le seul regard
Nous sommes éternellement voilés. Ce que nous sommes
Ne saurait dans le verbe ou dans le livre être coulé.
De nous notre âme est éloignée infiniment.

En vain à nos pensées voulons-nous impartir
Le don d’être notre âme claire et manifeste,
Impénétrables à tous n’en sont pas moins nos cœurs.
En cette part de nous qui s’offre on nous ignore.

D’une âme à l’autre il est un abîme que ne franchit
Nul artifice de pensée, nul faux-semblant.
A notre format réel nous amenuise

La tentative de traduire notre moi profond.
Nous sommes nos rêves de nous-mêmes, âmes par lueurs,
Chacun pour son prochain rêve de rêves étrangers.

(Traduit de l’anglais par Armand Guibert.)

Fernando Pessoa (1888-1935)