SONNET XIV

Nous qui, nés au couchant pour mourir avant l’aube,
Du monde connaissons l’obscurité totale,
Comment appréhender sa vérité, nés aux ténèbres,
Impénétrable fruit du non-rayonnement ?

Les seuls astres étant nos maîtres de lumière, nous saisissons
A perte de pensée leur ténu poudroiement,
Et, bien que leur regard perce des nuits le masque,
Il n’annonce jamais le visage du jour.

Pourquoi ces infimes dénis de l’intégral
Charmeraient-ils notre œil plus que le noir total ?
La prétendue valeur, pourquoi l’âme captive

L’accorde-t-elle à l’exigu pour en priver le grand ?
Ainsi, par amour de la lumière souhaitant la nuit plus vaste,
Accédons-nous confusément à une nocturne notion du jour.

(Traduit de l’anglais par Armand Guibert.)

Fernando Pessoa (1888-1935)