Vitray-Meyerovitch (MPI:97-103) – etapas do conhecimento

A alma desperta então começa a se ver como é, espiritual e moralmente cega: este dar-se conta é o primeiro passo para a “liberação” deste “fardo” depositado nela por Deus.

Nous avons vu que Djalâl-ud-Dîn Rûmî concevait essentiellement son rôle comme celui d’un éveilleur des âmes endormies : la première étape sur la voie qui mène à la connaissance, c’est d’être arraché au sommeil de l’oubli (Khwâb-e Ghaflat). Au terme d’une préparation nécessairement dirigée par le Pîr, l’œil de l’âme pourra s’ouvrir à la Vision, seul mode de connaissance véritable. Aussi bien, c’est à cette fin que tendent les méthodes employées par le maître: le Samâ créant en l’auditeur un «état» où lui parvient l’écho d’un appel déjà entendu au-delà du temps, le souvenir du monde des mélodies éternelles ; la dialectique socratique visant à faire définir au disciple, par le jeu habile de questions et de réponses, des réalités qu’il croyait lui-même ignorer, et de la sorte à purifier, au moyen de l’abstraction (Tadjrîd), tant l’objet intelligible que le mode d’intellection.

Le maître spirituel va s’efforcer encore, à l’aide de symboles, de faire deviner la distance entre le signe perçu et la réalité signifiée, de faire pressentir par des mots «parfum des fleurs du jardin du cœur » [Mathnawî, I, 1897 sq], « la fine, la décourageante différence » ou transmission d’un « état » (hâl), le Pîr parviendra à faire atteindre au murîd cette maturité (pokhtagî) le rendant apte, par la contemplation (mushâhadat), à recevoir l’illumination de la sagesse ésotérique (macrifat) et à « enfanter » ainsi son être véritable.

L’âme qui s’éveille commence alors à se voir telle qu’elle est, spirituellement et moralement aveuglée: cette prise de conscience est le premier pas vers la « délivrance » de ce « fardeau » déposé en elle par Dieu. Nous retrouvons ici le thème de l’embryon, qui revient si souvent sous la plume de Rûmî, et le maître est une fois de plus comparé à la sage-femme dont l’art (maieutique) consiste à procéder à l’accouchement, une fois que le germe est mûr :

« La douleur naîtra de ce regard jeté à l’intérieur de soi-même, et cette souffrance fait passer au-delà du voile.
Tant que les mères ne sont pas prises des douleurs de l’enfantement, l’enfant n’a pas la possibilité de naître.
Ce dépôt (amânah)1 donné par Dieu est dans le cœur, et le cœur est comme une femme enceinte : les conseils [des prophètes et des saints] sont comme la sage-femme. »

Lorsque Platon [République, 524 d] parle des sciences « éveilleuses de la pensée », ἐγερτικά τής νοήσεως, il rappelle la nécessité d’une propédeutique de la connaissance, dont le degré le plus élevé est la contemplation, θεωρία. Il s’agit d’une ascension, d’une « montée qui se fait par étapes ou degrés», ἀεί ἐπανιέναι ώσπερ ἐπαναβαθμοῖς χρώμενον [Banquet, 211 c].

Le symbole ascensionnel se retrouve chez Rûmî sur un plan tant cosmique ou ontologique que psychologique2. Il se traduit par l’image classique de l’échelle, scala mentis :

« Des l’instant où tu es venu en ce monde de l’existence,
Une échelle a été placée devant toi pour te permettre de t’évader3. »

« Le corps de l’homme, dit-il, est comme une échelle faite d’ébène noir, et dans son intérieur se trouve une échelle d’ivoire blanc. »4. Dans une parabole, il représente le disciple, au début de son pèlerinage intérieur, comme un pois chiche que la « ménagère », c’est-à-dire le maître, fait bouillir sur le feu de la purification: «lorsqu’il a été cuit, mangé, assimilé, et transformé en sperme, il perd sa nature végétale, participe à la vie animale de l’homme, monte jusqu’à la rationalité, et enfin retourne au monde des Attributs divins »5. Cette transmutation, que nous verrons si souvent décrite en termes d’alchimie [Cf. infra, p. 113], se traduit, nous l’avons dit, par l’accroissement de la certitude subjective, preuve de la rencontre de l’esprit et de son objet.

C’est ainsi qu’Ibn Arabi distingue dans la connaissance trois degrés: 1) Une connaissance rationnelle; 2) une connaissance des « états » ; 3) une connaissance des « secrets », au-delà de la sphère de la raison, communiquée à l’esprit des prophètes et des saints par l’Esprit Saint, et qui seule conduit à la certitude véritable. Il considère également qu’il existe trois sortes de compréhensions: wusû’l-ilm (ilm étant pris ici comme équivalant à marifat), [100] wusû’l-mushâhadat et wusû’l-khilâfat. Dans cette dernière, l’homme est essentialisé et devient le vice-gérant de Dieu.

Pour Ibn-ul-Farîd6, la certitude comprend également trois degrés: « Voyageant », dit-il, « de la connaissance de certitude à l’intuition qui y est contenue; puis voyageant vers le fait qui y est contenu, où est la vérité. »

Même division ternaire chez Kâshânî: un homme qui a la connaissance de certitude (ilm-ul yaqîn) sait que l’objet de sa recherche est à l’intérieur de lui-même; dans la seconde phase, (ayn-ul yaqîn), il voit cela intuitivement avec l’œil de la contemplation mystique; dans la troisième phase (haqq-ul yaqîn) l’illusion du sujet et de l’objet disparaît, et il parvient à l’unité absolue, ittihâd.

De même, Djîlî distingue la connaissance, la contemplation, et la transsubstantiation.

Al-Ghazâlî traite de deux catégories de la connaissance, ilm-ul-mucâmala et ilm-ul-mukâshafa. La distinction entre elles domine la structure de l’lhyâ. En outre, commentant le verset quranique XVIII, 64 « Et Nous lui avons appris une science de Nous (min ladunnâ) », il précise que toute connaissance vient de Dieu, mais que la connaissance transcendentale (al-ilm ar-rabbâni al-ladunnî) est celle qui est donnée directement au cœur sans passer par un enseignement humain.

Dhû-n-Nûn al Miçrî distingue lui aussi trois sortes de connaissance: 1) celle de l’ensemble des fidèles; 2) celle des philosophes et des théologiens ; 3) la « connaissance des attributs de l’unité », celle des saints « qui voient Dieu avec leur cœur ». En dehors de cette intuition suprême, Dieu ne peut être décrit que négativement.

D’après Muhammad b. Fadl al-Balkhî: « La connaissance est de trois sortes: venant de Dieu, avec Dieu, et de Dieu. » La connaissance de Dieu est la science de la Gnose (ilm-i marifat), par laquelle II est connu de tous Ses prophètes et Ses saints. Elle ne peut être acquise par des moyens ordinaires, mais est le résultat de la direction et de l’information donnée par Dieu. La connaissance venant de Dieu est la science du Droit sacré (ilm-i sharîat) qu’il a ordonnée et rendue obligatoire pour nous. La connaissance avec Dieu est la science des « stations » et la « Voie » et les degrés des saints. La Gnose n’est pas correcte sans acceptation de la Loi, et la Loi n’est pas [101] pratiquée de façon exacte à moins que les « stations » ne soient manifestées. Abu Alî Thaqafî dit: « Al-ilm hayât ul-qalb min al-jahl wa nûr al cayn min al-zulmat » : « La connaissance est la vie du cœur, qui le délivre de la mort de l’ignorance; c’est la lumière de l’œil de la foi, qui le délivre des ténèbres de l’infidélité ».

Par ailleurs, il existe une tradition selon laquelle le Prophète, la nuit du Miradj, reçut trois sortes de connaissance : l’une était la religion exotérique: il reçut l’ordre de la transmettre à son peuple; en ce qui concerne l’autre, la doctrine spirituelle, il fut laissé libre de la transmettre ou non. Quant à la troisième, traitant des mystères de la Divinité, il lui fut interdit de la divulguer.

En dernière analyse, ce qui ressort de toutes ces catégories, c’est une hiérarchie des degrés de la connaissance.

« Qu’est-ce que penser ? » est-il demandé dans le Golshan-e Râz. « C’est passer de l’erreur à la vérité, et voir le Tout absolu dans la partie. » Le traité distingue d’abord la démonstration logique : quand une idée (tasawwur) se forme dans l’esprit, y est-il dit, c’est d’abord une réminiscence (tadhakkur) [nous retrouvons une fois de plus Vanamnesis platonicienne]. Un second moment de la pensée consiste en l’interprétation (Hbrat), et enfin vient la proposition, l’assertion (tasdîq). Mais il est nettement précisé que la pure logique n’est qu’une servitude de la pensée (taqlîd) qu’il convient d’abandonner si l’on veut parvenir à l’illumination spirituelle.

Toute la théorie de la connaissance de Rûmî repose sur la supériorité de la sagesse ésotérique (ma’-rifat) sur la science discursive (ilm). Or, cette connaissance, cette gnose, représente par rapport à tout ce qui l’a précédé une véritable rupture de niveau. Elle [102] nécessite l’intervention de la grâce divine, lutf. Comme le dit un hadîth, « L’inspiration est une lumière qui descend dans le cœur, et montre la nature des choses telles qu’elles sont en réalité. » Ou encore, selon les termes du Mathnawî, « c’est la rencontre avec Dieu qui rend l’œil voyant ». On voit dès lors se conjoindre et converger vers une même fin diverses démarches : la tâche du Maître consistera à éveiller l’âme du disciple aux vérités supra-sensibles; l’âme éveillée devra se conformer à une double ascèse, morale et intellectuelle au terme de laquelle elle deviendra capable de recevoir l’illumination: ayant fait de son cœur un miroir, celui-ci peut réfléchir, au double sens, actif et passif, de ce terme, la lumière. Nous étudions plus loin la façon dont Rûmî traite ce thème. Dans les pages qui suivent, nous allons nous efforcer de retracer les différents caractères que comporte, à ses yeux, l’acte de la connaissance suprême, c’est-à-dire la contemplation (mushâhadat), ou vision (nazar).


  1. Sur ce terme, cf. infra, chap. sur L’Homme parfait. 

  2. Cf. Mathnawî, I, 1531 sq., 3165 sq. ; III, 458 sq. ; 3901 sq. ; 4179 sq. ; IV, 3637 sq. ; V, 789 sq., VI, 126 sq. 

  3. Dîwân, S. P., XII 

  4. Cf. Fîhi-mâ-fîhi, 2e partie, texte persan, p. 121]. Lorsque tu as dépassé toutes les deux, tu es arrivé sur le haut de l’empyrée : c’est là que Dieu réside :

    « Donc, le Miradj, l’ascension, c’est l’être même de l’homme : il s’élève en lui-même, en partant de l’extérieur, qui est ténèbres, vers l’intérieur, qui est l’univers des lumières, et de l’intérieur vers le Créateur. »Fîhi-mâ-fîhi, loc. cit. — On sait qu’à l’origine Mirâdj signifie « échelle ».

    Ce symbolisme de l’« introrsum ascendere » ne doit pas faire tomber dans le piège d’une pensée spatialisante:

    « Ceci n’est pas comparable à l’ascension d’un homme vers la lune ; non, mais à l’ascension de la canne à sucre jusqu’au sucre.
    Ce n’est pas comparable à l’ascension d’une vapeur vers le ciel ; non, mais à l’ascension d’un embryon jusqu’à la raison. » [Mathnawî, IV, 553-4] [99]

    La purification intellectuelle qui prépare à un mode de connaissance d’un autre ordre, « au-delà des échelons », est, selon Rûmî, semblable aux semailles ; la gnose en est la moisson [Mathnawî, VI, 2091-92].

    Les étapes parcourues au cours de cet itinéraire se distinguent par le degré de certitude qui est atteint en chacune d’elles, le dernier niveau, le plus élevé, étant celui où l’âme, sous l’illumination divine, se connaît dans sa réalité propre [Cf. infra, p. 113]. Les différents modes de connaissance mettront en oeuvre tantôt la raison discursive (aql), δίανοια, tantôt l’intuition intellectuelle (fahm), νοῦς, tantôt enfin, l’œil spirituel, l’organe propre de la vision (Tchashm-e-del) [Cf. infra, p. 108].

    Sous quelque angle qu’on l’envisage, ce passage d’un degré de la connaissance à un autre se présente, aussi bien dans ses modes que selon la clarté avec laquelle ses objets sont connus, sous un aspect ternaire: au monde sensible, éthique ou des Idées se relie la triple division de la psyché qui, à la suite d’Aristote, apparaît très tôt dans la philosophie et la mystique musulmanes. La progression vers la découverte de soi se traduit par des métamorphoses successives: ainsi Rûmî compare-t-il cette évolution à la transformation de l’âme animale, qui est elle-même l’« enfant » de l’âme végétative, en l’âme raisonnable ((Mathnawî, IV, 3637 sq. et la note de Nicholson, ad loc. 

  5. Mathnawî, III, 4159 sq. et la note (in Rûmî, poet and mystic, p. 82). 

  6. Tâ’iyya, vers 514 seq. (in Studies in Islamic Mysticism, de R. A. Nicholson). 

Rumi (1207-1273)