Nous l’avons vu : la Perfection est active ; son activité est sans fin, libre (c.-à-d. conséquentielle à son principe de causalité) et bonne (c.-à-d. régulière et harmonique). Ainsi tous les destins (passés, présents, futurs, bien entendu, car ici le mot « destin » n’implique pas la notion de l’avenir), tous les destins de l’Univers se composent de l’activité, de la perpétuité, de la cause et de l’harmonie.
L’Humanité est une des formes du courant où les êtres s’écoulent (activité) en se différenciant de l’Être, formellement et non essentiellement. Elle est donc un des aspects de la Perfection passive, et une des modifications par où l’Univers tend à la transformation, c.-à-d. au mécanisme de la réintégration. Ainsi la Perfection est la génératrice de l’Humanité (causalité), comme la matière une — et par conséquent éternelle et sans forme — est la génératrice de la matière divisible, diverse et temporaire. Ce sont là des modes objectifs de la subjectivité.
L’ humanité, considérée même avant sa naissance et aussi après sa mort terrestre -, est, très exactement en métaphysique, une des Formes de l’Univers (et l’humanité terrestre est une des modifications de cette forme). Au même titre et tout aussi scrupuleusement que toutes les autres, et sans la possibilité du moindre traitement spécial, cette forme sort de la Perfection grâce au Principe de la causalité efficiente, traverse toutes les modifications, et atteint la transformation, par laquelle elle réintègre la Perfection. Nulle forme n’échappe à cette loi générale, et c’est là l’ Harmonie ; c’est l’harmonie de la Voie, du Tao, dont nous trouvons ici la première et parfaite définition, et que nous étudierons à fond dans le système philosophique de Laotseu1.
Précisons, en langage vulgaire, cette donnée inéluctable : l’Humanité vient de l’Infini ; l’Humanité rentre dans l’Infini. Nous devons dire même qu’elle ne le quitte jamais, et que toutes les modifications se produisent le long de l’Infini : non seulement la loi de l’Harmonie, mais le bon sens le veulent ainsi. Car si une parcelle de l’Humanité ne suivait pas les autres parcelles de cette forme dans toutes ses modifications et dans la transformation finale et commune de tout l’Univers, cette parcelle ne pourrait que sortir de l’Infini, exister hors de l’Infini, être située à côté de l’Infini. — Or, si l’on peut parfois sortir numéralement de l’Infini mathématique, on ne peut pas sortir, essentiellement, de l’Infini métaphysique, sous peine de détruire la notion et l’idée même de cet Infini. Cette preuve par l’absurde peut ne pas satisfaire entièrement la clairvoyance ; elle n’ en demeure pas moins invincible.
Nous sommes tous comme les points de la surface d’un cylindre, qui peuvent paraître appartenir à une droite ou à un plan tangents à cette surface, mais qui n’en font pas moins partie intégrante, non seulement de la surface, mais du volume du cylindre en tant que fonctions de ce volume.
Nous tous, formes visibles et invisibles de l’Univers, nous émanons de l’Infini : nous n’en pouvons point sortir, nous y sommes toujours liés par l’essence ; et nous resterons, après les formes, dans cet Infini, dont jamais nous ne cessons d’être des molécules insaisissables, infinitésimales, mais impérativement nécessaires. (La Voie métaphysique, Chapitre VI)
Il est bon de remarquer dès maintenant que la doctrine de Laotseu est directement issue du Yiking et de la Tradition Primordiale. ↩