Malheureux ! j’ai passé bien des nuits sans dormir. Toute ma vie, j’ai poursuivi mon entreprise ; et sur cet océan j’ai lancé maint vaisseau. A la fin, j’ai jeté mon bagage à la mer. J’ai passé des années dans la méditation ; j’ai expérimenté bien des états divers. Je ne ME suis jamais endormi satisfait ; et tant que j’existai je fus dans le chagrin. Dans le livre du ciel je n’ai lu que souffrance, et de mes yeux j’ai fait couler un flot de sang. Je suis mort sans avoir respiré un instant. J’ai disparu sans avoir joui d’une nuitée. Dans ce monde, je suis la racine arrachée ; je suis rameau brisé par la course du temps. Si le sort m’a fait boire une coupe de miel, j’avalai par milliers des gorgées de poison. J’ai passé tout mon temps le cœur ensanglanté, sans un seul bon moment, durant toute ma vie. Dans ma vie je n’eus pas un temps de réussite, pas un instant selon ce que voulait mon cœur. Si tout d’abord ce monde eut pour moi quelque éclat, finalement l’ennui s’empara de mon âme. Oui ! tout ce que tu peux en mauvais traitements, inflige-le-moi donc ! ô sort ! que tu m’éprouves, Monde ! accorde-moi donc un instant de répit, et je dirai ce que j’ai subi de ta part. Ce bas monde, à ma mort, ne prendra point le deuil, car une poignée d’os ne saurait l’occuper. (Attar, Asrâr-nâmè, éd. Téhéran, 1298/1881, p. 122.)
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