Fernando Pessoa – L’Ordre du Christ

L’Ordre du Christ n’a pas de diplômes, de temple, de rite, d’insigne ou de laissez-passer. Il n’a pas besoin de se rencontrer, et ses chevaliers, pour les appeler ainsi, se connaissent sans se connaître, ils se parlent sans ce qu’on appelle proprement le langage. Quand on est son écuyer, on n’y est pas encore ; quand vous êtes son maître, vous ne lui appartenez plus. Dans ces paroles obscures, il en est assez dit pour qui veut ou sait comprendre ce qu’est l’Ordre du Christ — le plus sublime de tous au monde.

On n’entre dans l’Ordre du Christ par aucune initiation, ou du moins par aucune initiation qui puisse être décrite par des mots. Vous ne le rejoignez pas parce que vous le souhaitez ou parce que vous êtes appelé ; en cela elle se conforme à la formule des maîtres : « Quand le disciple est prêt, le Maître est prêt aussi. Et c’est dans le mot «prêt» que se trouvent les différents sens, selon les ordres et les règles.

Fidèle à son obéissance — si l’on peut appeler cela là où il n’y a pas d’obéissance — à la Fraternité dont elle est la fille et la mère, il y a en elle la règle parfaite de la Liberté, de l’Égalité, de la Fraternité. Ses chevaliers – appelons-les toujours ainsi – ne dépendent de personne, n’obéissent à personne, n’ont besoin de personne, pas même de la Fraternité dont ils dépendent, à qui ils obéissent et dont ils ont besoin. Ses chevaliers sont parfaitement égaux entre eux en ce qui les rend chevaliers ; toute la différence qu’il y a dans toutes les choses du monde s’arrêtait entre eux. Ses chevaliers sont liés les uns aux autres par le simple lien d’être tels, et donc ils sont frères, et non partenaires ou associés. Ils sont frères, pour ainsi dire, parce qu’ils sont nés comme tels. Dans l’ordre du Christ, il n’y a ni serment ni obligation.

Elle, si semblable à la Fraternité dans laquelle elle respire, parce que, selon la Règle, “comme en bas, comme en haut”, n’est pourtant pas cette Fraternité : c’est encore un Ordre, bien qu’un Ordre Fraternel, au même temps alors que la Confrérie n’est pas un ordre.

Fernando Pessoa (1888-1935)