Pessoa: Fernand de Magellan

Dans la vallée un bûcher jette ses flammes.
Une sarabande secoue la terre entière.
Par sombres lueurs, en sursaut jaillies
De la vallée, des ombres sourcilleuses
Et difformes escaladent les pentes
Pour aller se perdre dans l’obscurité.

Quelle est cette danse dont la nuit s’alarme ?
Celle des Titans, les fils de la Terre,
Qui dansent pour la mort du Capitaine
Qui voulut ceinturer le corps maternel –
Le ceinturer, d’entre les hommes le premier –
Avant de trouver sur la plage lointaine sa sépulture.

Ils dansent, sans savoir que l’âme audacieuse
Du mort commande encore l’escadre,
Poignet désincarné qui conduit à la barre
Jusques aux confins de l’espace les vaisseaux –
Lui qui sut, au sein de l’éternelle absence, encercler
La terre entière en son étreinte.

La Terre, il la viola. Mais eux, qui rien n’en savent,
Ils dansent dans la solitude;
Et, de difformes ombres sourcilleuses
Allant se perdre aux horizons,
Montées de la vallée escaladent les pentes
Des muettes montagnes.

Fernando Pessoa (1888-1935)