Attar (HMAP) – Nizâm-ol-Molk et le mystique.

Lorsque Nizâm-ol-Molk devint premier ministre, vint un çoufi tenant une outre dans sa main. Il lui dit : « O vizir bienfaisant comme Açaf!1, remplis-moi d’or cette outre en une seule fois. » Nizâm lui répondit : « Mais cette outre est fort grande ! on dirait que sur moi c’est un loup qui se jette. — Tu parles sans profit ! remplis-moi d’or cette outre et non point à demi, mais jusqu’à l’orifice. » Alors ce grand vizir fit un signe pour dire : Remplissez d’or pour lui cette outre sur-le-champ. » Ainsi d’une cassette on leva le couvercle, et dans l’outre on en vida l’or, mais c’était peu ! L’autre, sans s’éloigner, ne ramassa pas l’outre et le vizir resta devant lui tout perplexe. On apporta de l’or encore à dix reprises : l’outre n’était pas pleine et l’homme restait là. A la fin, du çoufi le vizir remplit l’outre ; il comptait l’écarter ainsi de sa présence. Quant le çoufi prit l’or, il tomba dans l’extase, s’approcha de Nizâm et se tint devant lui. Sur sa tête, il versa le contenu de l’outre2, et lorsqu’elle fut vide, il la jeta dehors, disant : « Je resterai quelque temps près de toi, afin d’éparpiller pièces d’or sur ta tète ; ne voyant rien digne de toi, j’ai répandu sur toi ce qui venait de toi ; me voilà calme ! Pour toi j’ai cherché l’or et de toi je l’ai pris, et ce n’est que sur toi que je l’ai répandu. » O mon ami ! quand tu n’as pas d’argent comptant digne d’être versé sur le Souverain Maître, pour ton âme demande à Dieu des éléments ; tu répandras sur Lui ce qu’il t’aura donné. Pour le mendiant quelle fortune est donc plus haute que répandre son âme en l’honneur de son Roi ? Je demeure tout éperdu dans mon amour ; je suis hors de moi-même et reste confondu. Et je me trouve entre l’éveil et le sommeil, état qui pour mon âme est la perfection. (Asrâr-nâmè, éd. Téhéran, 1298/1881, p. 42.)


  1. Prétendu vizir de Salomon ; voir E. I. (art. Asaf). 

  2. Autrefois on éparpillait des pièces d’or sur la tête de celui qu’on voulait honorer. 

Attar (1145-1221)