Saint-Martin: le lien conjugal

J’ai assez fait connaître que la pensée de l’homme ne pouvait vivre que d’admiration, comme son coeur ne pouvait vivre que d’adoration et d’amour. Et j’ajoute ici que ces droits sacrés se partageant dans l’espèce humaine entre l’homme qui est plus enclin à admirer, et la femme qui l’est plus à adorer, perfectionnent ces deux individus l’un par l’autre dans leur sainte société, en rendant à l’intelligence de l’homme la portion d’amour dont il manque, et en couronnant l’amour de la femme par les superbes rayons de l’intelligence dont elle a besoin ; que par là l’homme et la femme se trouvent ralliés visiblement sous la loi ineffable de l’indivisible unité.

(Ceci, pour le dire en passant, expliquerait pourquoi le lien conjugal emporte partout avec lui-même un caractère respectable, excepté aux yeux de ceux qui sont dépravés, et pourquoi ce même lien, malgré notre dégradation, est la base de l’association politique, celle de toutes les lois morales, l’objet de tant de grands et de petits événements sur la terre, en même temps que le sujet de presque tous les ouvrages de littérature, soit de l’Épopée, soit des pièces de théâtre, soit des romans ; enfin, pourquoi le respect porté à ce lien, ainsi que les atteintes qui lui sont faites, deviennent, sous tous les rapports civils et religieux, une source d’harmonie ou de désordres, de bénédictions ou d’anathèmes, et semblent lier au mariage de l’homme le ciel, la terre et les enfers ; car il serait étonnant qu’il résultât de là de si grands effets, si cette unité conjugale n’avait pas eu primitivement, par son importance, le pouvoir de décider du bonheur ou du malheur du cercle des choses et de tout ce qui peut avoir des rapports avec l’homme. Aussi ce mariage, le péché l’a rendu sujet à des conséquences bien fâcheuses pour l’homme et la femme. Ces conséquences consistent à ce que tout étant dévoyé pour l’être spirituel de l’un et de l’autre, cela oblige leur esprit à sortir de lui-même, s’ils veulent parvenir mutuellement à cette unité sainte qui leur est destinée par leur alliance. Aussi il n’y a pas jusqu’aux entretiens, encouragements et exemples qu’ils ne se doivent respectivement pour se soutenir, et pour que par ce moyen-là la femme rentre dans l’homme dont elle est sortie, que l’homme étaye la femme de la force dont elle a été séparée, et pour que lui-même puisse retrouver cette portion d’amour qu’il a laissée sortir de lui. Oh ! si le genre humain savait ce que c’est que le mariage, il en aurait à la fois un désir extrême et une frayeur épouvantable ; car il est possible aux hommes de se rediviniser par là, ou de finir par se perdre tout à fait. En effet, si les époux priaient, ils se rétabliraient dans le jardin d’Eden ; et s’ils ne prient pas, je ne sais comment ils pourraient se supporter, tant est grande l’infection et la corruptibilité qui nous constituent tous aujourd’hui, soit au moral, soit au physique ; surtout si à leurs propres imperfections et fragilités morales et physiques, ils joignent les néants corrosifs et destructeurs de l’atmosphère du monde frivole qui attire continuellement tout en dehors, puisqu’il ne sait pas vivre en lui-même et de lui-même).

Louis-Claude de Saint-Martin