Le Très-Haut a choisi, dans l’espèce humaine, certains individus auxquels il a concédé le privilège de converser directement avec lui. Les ayant créés pour le connaître, et les ayant placés comme intermédiaires entre lui et ses serviteurs, il les a chargés d’apprendre aux hommes leurs véritables intérêts, de les diriger avec zèle, de les préserver du feu de l’enfer en leur montrant la voie du salut. Aux connaissances qu’il leur communique et aux merveilles qu’il énonce par leur bouche, il ajoute la faculté de prédire ce qui doit arriver et d’indiquer les événements qui sont cachés aux autres mortels. Dieu seul peut faire connaître ces choses ; il emploie alors le ministère de quelques hommes d’élite, qui, eux-mêmes, ne les savent que par son enseignement. Le Prophète a dit : « Quant à moi, je ne sais que ce que Dieu m’a enseigné. » Leurs prédictions ont la vérité pour caractère distinctif et essentiel, ainsi que le lecteur pourra le reconnaître lorsque nous lui exposerons la nature réelle du prophétisme.
Un signe caractéristique distingue les individus de cette classe : au moment de recevoir la révélation divine, ils se trouvent complètement étrangers à tout ce qui les entoure, et ils poussent des gémissements sourds. On dirait, à les voir, qu’ils sont tombés dans un état de syncope ou d’évanouissement ; et toutefois il n’en est rien ; mais, en réalité, ils sont absorbés dans le royaume spirituel qu’ils viennent de rencontrer. Cela leur arrive par l’effet d’une puissance perceptive qui leur est propre et qui diffère totalement de celle des autres hommes. Bientôt après, cette puissance redescend jusqu’à la perception de choses compréhensibles aux mortels : tantôt c’est le bourdonnement de paroles dont elle parvient à saisir le sens ; tantôt c’est la figure d’une personne qui apporte un message de la part de Dieu. L’extase se passe, mais l’esprit retient le souvenir de ce qui lui a été révélé.
On interrogea le Prophète sur la nature de la révélation divine, et il répondit : « Tantôt elle me vient comme le tintement d’une cloche, ce qui est très fatigant pour moi ; et, lorsqu’elle me quitte, j’ai retenu ce qu’on m’a dit. Tantôt l’ange prend la forme humaine pour me parler, et je retiens ce qu’il dit. » Dans cet état, il éprouvait des souffrances inexprimables et laissait échapper des gémissements sourds. On lit dans les recueils des traditions : « Il (le Prophète) traitait comme une maladie une certaine espèce de douleur qu’il ressentait à la suite des révélations divines1. » Aïcha (la femme de p.186 Mohammed) disait : « Une fois, la révélation lui arriva dans un jour excessivement froid et, lorsqu’elle eut cessé, son front fut baigné de sueur. » Le Très-Haut a dit (Coran, sour. LXXIII, vers. 5) : Nous allons t’adresser une parole accablante2.
Ce fut à cause de l’état dans lequel se trouvaient les prophètes, quand ils recevaient des révélations divines, que les polythéistes les taxaient de folie, et disaient, « Celui-là a eu une vision » ; ou bien : « Il a auprès de lui un démon familier ». Mais ces mécréants furent trompés par les circonstances extérieures qui accompagnent l’état d’extase, et celui que Dieu veut égarer ne trouve point de guide. (Coran, sour. XIII, vers. 33.)
On reconnaît encore ces personnages favorisés à la conduite vertueuse qu’ils avaient tenue avant d’avoir reçu des révélations, à leur vive intelligence et au soin qu’ils avaient mis à ne pas commettre des actes blâmables, et à éviter toute espèce de souillure : c’est là ce qu’on désigne par le terme eïsma3. On dirait que tout prophète tient de son caractère inné une profonde aversion pour les choses blâmables, et une exacte attention à les éviter. On peut même affirmer que ces choses répugnent à la nature des prophètes.
On lit dans le Sahîh que, lors de la reconstruction de la Caaba, Mohammed, étant encore très jeune, s’y trouva avec son oncle, El-Abbas, et plaça la pierre noire dans son manteau (afin de la transporter à l’endroit qu’elle devait occuper). S’étant ainsi découvert le corps, il tomba en défaillance et ne revint à lui qu’après s’être enveloppé dans le manteau. Invité à un festin de noce où les divertissements ne manquaient pas, il tomba dans un sommeil profond et ne s’éveilla qu’au lever du soleil ; de sorte qu’il ne prit aucune part à la fête. Il évita cette tentation, grâce à la disposition naturelle qu’il tenait de Dieu. Dans la suite, il en vint au point de s’abstenir des mets qui pouvaient être désagréables aux autres : jamais il ne touchait aux oignons ni à l’ail, et, quand on lui demandait pourquoi il agissait ainsi, il répondait : « J’ai souvent à m’entretenir avec d’autres personnes que celles à qui vous avez l’habitude de parler4. » Voyez les renseignements qu’il donna à sa femme Khadîdja, au moment où il recevait, d’une manière inattendue, sa première révélation. Voulant savoir au juste ce qui se passait, elle lui dit : « Place-moi entre toi et ton manteau. » Aussitôt qu’il l’eut fait, le porteur de la révélation s’éloigna. « Ah, dit-elle, ce n’est pas là un démon, mais un ange ! » paroles qui donnaient à entendre que les anges n’approchent pas des femmes. Elle lui dit encore : « Quand l’ange vient te visiter, quel est le vêtement que tu aimes à lui voir porter ? — Il répondit : « L’habit blanc ou l’habit vert. » « C’est donc réellement un ange ! — s’écria-t-elle. Par ces mots, elle rappelait l’idée que le vert et le blanc sont les couleurs spéciales à tout ce qui est bon et aux anges, tandis que le noir ne convient qu’à ce qui est mauvais et aux démons. Nous pourrions citer encore beaucoup de traits semblables.
Quand une révélation descendait sur lui (du ciel), il éprouvait une céphalalgie, et (pour en diminuer l’intensité) il appliquait sur sa tête un cataplasme de hinna (lawsonia inermis). Tradition relative au Prophète et rapportée par Soyouti dans sa Grande Collection ; manuscrit de la Bibliothèque impériale, supplément arabe. ↩
Littéral. « lourde ». Si l’on regardait au sens du texte plutôt qu’à la lettre, on rendrait le mot par « grave, sérieux ». ↩
Eïsma signifie « soin de se contenir, d’éviter le péché ». ↩
« Il ne mangeait ni ail, ni poireaux, ni oignons, parce que les anges venaient le visiter et qu’il s’entretenait avec Gabriel, ne voulant pas que les anges en fussent incommodés. » Tradition rapportée par Soyonti dans sa Grande Collection. Ce Docteur ajoute que Gabriel détestait l’odeur de ces plantes potagères. ↩