Considérons maintenant les couleurs dans leur nature propre et leur langage immédiat : le rouge a de l’intensité, de la violence, le bleu de la profondeur et de la bonté [NA : Le ciel est bleu, et de même le manteau de la Vierge, Mater misericordiae. Le Christ est vêtu de blanc et de roue sainteté et vie, pureté et amour. – Certaines écoles vishnouites distinguent un amour « rouge » et un amour « bleu », le premier mode correspondant sans doute à une activité et le second à une passivité.]. Le regard peut se mouvoir, se perdre dans le bleu, mais non dans le rouge qui se dresse devant nous comme un mur de feu. Le jaune a de l’intensité et de la profondeur à l’a fois, mais en mode « léger »; il a une certaine « transcendance » par rapport aux deux couleurs « lourdes »; il est comme une sortie vers le blanc. Quand il se mélange avec le bleu, il donne à la contemplativité de celui-ci une qualité d’ « espérance », de joie salvatrice, une libération hors de la quiétude enveloppante de la contemplation. Le rouge excite, réveille et « extériorise »; le bleu recueille et « intériorise »; le jaune réjouit et « délivre ». Le rouge est agressif et agit vers l’extérieur; le rayonnement du bleu est profond, accueillant, et va vers l’intérieur; celui du jaune est « libérateur » et se déploie en tout sens. Le mélange du repliement sur soi (bleu) et de la joie (jaune) est l’espoir (vert); l’espoir s’oppose à la passion (rouge) parce qu’il ne vit point comme elle dans le présent, mais dans le futur; il s’y oppose aussi par ses deux aspects d’introspection et de joie.
Le violet est trop « lourd », puisqu’il est coin posé des, deux couleurs, lourdes, l’une chaude et , l’autre froide; l’orange par contre est trop « chaud parce qu’il se compose des deux couleurs chaudes, l’une lourde et l’autre légère. Le vert, qui se compose d’une couleur lourde et d’une autre légère, l’une froide et l’autre chaude, n’est ni trop lourd ni trop chaud; c’est le seul mélange heureux. Dans le violet se mélangent deux éléments trop différents; dans l’orange, deux éléments trop semblables; le vert par contre allie des opposés situés sur différents plans et ne pouvant entrer en conflit. Il manifeste donc l’équilibre; le violet en revanche exprime la surcharge, la fatigue, la langueur, et l’orange la « surchauffe », l’excitation joyeuse du désir, non la joie transparente comme le jaune. Ou encore : si l’orange est la séduction, le violet sera le regret, et le vert le pardon. Dans le ternaire des couleurs composées, c’est le vert qui est au sommet et qui délivre; dans le ternaire des couleurs simples, c’est le jaune.
Le vert a, « par définition » en quelque sorte puisqu’il cumule deux couleurs qui s’opposent sous deux rapports différents, une équivocité qui lui donne un caractère de « surprise » et d’ « étrangeté »; il a deux dimensions, – d’où son mystère, – tandis que la couleur opposée, le rouge, est simple, indivisible, instantané. Le vert est espoir, promesse, attente heureuse, bonne nouvelle; il a un aspect d’imprévu, de gaieté et d’espièglerie; il n’est pas l’acte violent du rouge, ni le recueillement formé – et intérieurement illimité – du bleu; il n’est pas non plus la joie ouverte, simple et rayonnante du jaune.
Le rouge, c’est le moment présent. Le vert, son contraire, est la durée avec ses deux dimensions, le passé et le futur, celui-ci étant représenté par le jaune, et celui-là par le bleu. Vu spatialement, le bleu est l’espace et le jaune le centre fulgurant qui se révèle et qui délivre, et qui montre une nouvelle dimension d’infinité. C’est le ciel transpercé par le soleil.
L’opposition entre le rouge et le vert marque l’antinomie directe; entre le bleu et le jaune, par contre, l’opposition est harmonieuse, le rapport étant complémentaire. De même, le bleu et le rouge d’une part, et le rouge et le jaune d’autre part, s’opposent harmonieusement : dans le premier cas, parce que l’une des couleurs est froide et l’autre chaude, et dans le second cas, parce que l’une est lourde et l’autre légère; la première opposition exprime la dignité royale, faite de rigueur et de générosité, et la seconde l’intensité joyeuse, faite de volupté et de bonheur. Le rouge avec le vert, c’est le couple de l’opposition divergente; mais ils symbolisent aussi, sur le plan spirituel, l’amour et la connaissance, qui en effet divergent en tant qu’attitudes, et dont la synthèse transcendante se trouve symbolisée par le blanc. Dans le même ordre d’idées, le bleu et le jaune symbolisent respectivement la contemplation et la grâce, qui sont les deux pôles nécessaires de la connaissance; mais tandis que le blanc est comme la synthèse transcendante de l’opposition rouge vert, la synthèse du bleu et du jaune est directe c’est le vert, qui est un mélange, non une intégration. Quant au blanc et au noir, ils sont respectivement la sur-couleur et la non-couleur; ils s’opposent comme la lumière et l’obscurité, ou l’Etre et le néant. D’autre part, le rouge s’oppose au blanc comme la passion s’oppose à la pureté, et au noir comme la vie s’oppose à la, mort. Le rouge et le vert, c’est aussi la vie terrestre et la résurrection.
Le vert et le rouge sont susceptibles d’une signification maléfique en tant qu’ils s’opposent au blanc par leur violence : le rouge en mode passionnel, et le vert en mode perfide ou venimeux. Le jaune et le noir sont également susceptibles d’une telle signification, le jaune en tant qu’il contredit le bleu, comme la séduction des faux paradis [NA : C’est l’aspect maléfique de l’or.], contredit le recueillement de la piété, et le noir en tant qu’il nie le blanc, comme l’ignorance nie la sagesse, ou comme la culpabilité exclut l’innocence.
Le bleu et le blanc ne sont point susceptibles d’une signification proprement maléfique : le bleu parce que son irradiation est en quelque sorte sphérique ou circulaire et par là même contemplative, et le blanc parce qu’il est absolument neutre, transcendant et primordiale. En revanche, ils ont aussi une signification plus ou moins négative : le blanc est alors le vide, l’extériorité, qui s’oppose à la plénitude qualitative des couleurs et aussi au secret du noir, à l’intériorité spirituelle; dans ce dernier cas, c’est l’aspect profane du jour qui s’oppose à l’aspect sacré de la nuit. Le bleu est le froid qui s’oppose à la chaleur, ou l’eau quantité qui s’oppose au feu-qualité, donc au sang qui, lui aussi, est chaud et qualitatif.
L’aspect bénéfique des couleurs – et des éléments – est toujours essentiel, direct, inconditionnel; l’aspect maléfique est accidentel, indirect, conditionnel, car il n’existe que par l’opposition et la négation.