Nenhuma criatura existe do único fato que ela é isto que ela é, a saber uma certa essência; mas todas, segundo as aparências inerentes ao criado, existem em virtude do Existir divino. Como, em virtude deste Existir, existem as criaturas minerais, vegetais e animais, não saberia dizer; mas como existe a criatura humana, é o que vejo claramente em razão da experiência que disto fiz. O homem existe do Existir divino na medida que este Existir, comparado a uma luz, se reflete na face interna da mente — o intelecto agente — à maneira pela qual o sol comunica sua luz ao espelho que o reflete. E da mesma maneira que a luz refletida pelo espelho é tão intensa quanto a luz do sol que aí se reflete, assim também o reflexo do Existir divino na face interna da mente faz resplandecer existencialmente esta face tão intensamente quanto Deus que aí se mira. Toda a unidade de Deus e da Criatura humana, de que fala Ruysbroeck, mantém-se nesta realidade que é a luz divina e, ao mesmo tempo, a recepção desta luz pela face que a mente lhe oferece. Ora, a criatura humana ignora ordinariamente que ela não existe senão em razão do Existir divino e que seu intelecto agente é esta morada da luz. Ela não tem nenhuma conscientidade de ser um intelecto ativo; com mais forte razão, não tem nenhuma conscientidade da «ativação» da face interna de sua mente operada por Deus. E enquanto se encontra mergulhada nesta ignorância, a criatura humana crê que ela existe por ela mesma, somente pelo fato de que ela é isto que ela é: crença equivocada e fatal, que está na origem da soberba humana e por consequência de todos os males de que os mortais são afligidos.
++++Original
Aucune créature n’existe du seul fait qu’elle est ce qu’elle est, à savoir une certaine essence ; mais toutes, selon les apparences inhérentes au créé, existent en vertu de l’Exister divin1). Comment, en vertu de cet Exister, existent les créatures minérales, végétales et animales, c’est ce que je ne saurais dire ; mais comment existe la créature humaine, c’est ce que je vois clairement en raison de l’expérience que j’en ai faite. L’homme existe de l’Exister divin dans la mesure où cet Exister, comparé à une lumière, se reflète dans la face interne de l’esprit — l’intellect agent — à la façon dont le soleil communique sa lumière au miroir qui le reflète. Et de même que la lumière réfléchie par le miroir est aussi intense que la lumière du soleil qui s’y réfléchit, de même aussi le reflet de l’Exister divin dans la face interne de l’esprit fait resplendir existentiellement cette face aussi intensément que Dieu qui s’y mire. Toute l’unité de Dieu et de la créature humaine, dont parle Ruysbroeck, tient dans cette réalité qu’est la lumière divine et, tout à la fois, la réception de cette lumière par la face que l’esprit lui offre2. Or, la créature humaine ignore à l’ordinaire qu’elle n’existe qu’en raison de l’Exister divin et que son intellect agent est ce foyer de lumière. Elle n’a aucune conscience d’être un intellect actif ; à plus forte raison, elle n’a aucune conscience de l’ « activation » de la face interne de son esprit opérée par Dieu. Et aussi longtemps qu’elle se trouve plongée dans cette ignorance, la créature humaine croit qu’elle existe par elle-même, par cela seul qu’elle est ce qu’elle est : croyance erronée et fatale, qui est à l’origine de la superbe humaine et par conséquent de tous les maux dont les mortels sont affligés.
Mais il arrive, quand Dieu le juge bon, que la créature humaine entre dans la conscience de l’unité constituée par la lumière divine et la réception de cette lumière par la face interne de son esprit. Alors tout se passe comme si Dieu se dévoilait à l’âme créaturielle. Lorsque Dieu se dévoile, non [135] point comme Existant « objectif », on l’a compris, mais comme Exister infini dans le for intérieur du sujet connaissant, c’est dans la ligne même de la subjectivité de celui-ci qu’il surgit. Ce que je dois tenter de décrire, avec la plus grande fidélité possible, c’est ce surgissement de l’Ipsum esse dans le sujet connaissant. Dieu se dévoile comme Exister infini en donnant à l’âme créaturielle la conscience que la face spirituelle que cette créature présente à Dieu — c’est-à-dire l’intellect actif ou agent de cette créature — est inondée du flux existencificateur divin qui frappe directement cette face interne comme la lumière du soleil frappe directement le miroir qui lui est tendu. Or, ayant ainsi conscience de la lumière existentielle qu’elle reçoit, elle se trouve privée de tout moyen de distinguer sa face interne de la Réalité divine, de sorte qu’elle est alors, en tant que face interne, littéralement déifiée ; mais, d’autre part, comme c’est l’Exister infini qui se dévoile, et avec quelle intensité formidable ! elle expérimente dans le même moment, en tant, cette fois, qu’elle est créature individuelle sous la face interne qu’elle présente à Dieu, son néant existentiel. Elle est anéantie dans un monde lui-même dépourvu de toute réalité existentielle.
Le chemin qui conduit à la connnaissance de ce qui existe passe par la connaissance de ce qui n’existe pas. Voilà ce qu’il faut que je dise. Mais, pour tenter de le dire convenablement, je dois m’appuyer sur ce que je sais maintenant de la Foi, à savoir, d’abord, que l’Essence divine, dont on ne peut avoir naturellement ici-bas qu’une connaissance négative3, ou à la rigueur analogique, est une Trinité de personnes, chacune de celles-ci étant toute l’Essence néanmoins une et indivisible ; et, ensuite, que la seconde Personne de cette Trinité est descendue dans la chair pour le salut de tous les hommes. Je confesse cette Foi, sachant que la Trinité divine n’est pas démontrable et qu’une connaissance directe de l’Ipsum esse divin ne dévoile pas nécessairement le mystère de la Trinité, mais sachant aussi que je la confesse parce que j’ai été, un jour, écrasé par le dévoilement de l’Exister divin. Je confesse donc que Jésus–Christ [136] est vrai Dieu et vrai homme et qu’il est notre Sauveur. La Grâce divine, dont je tremble d’avoir abusé, a permis que je le crusse. Mais tout a commencé par l’écrasement existentiel. Ce n’est qu’ensuite que la Révélation apportée par le Christ a sauvé ce que le Dévoilement avait détruit.
Dévoilement, Révélation. J’userai du premier terme pour désigner le surgissement de l’Esse divin en mode existentiel ou, plutôt, pour désigner la prise de conscience au sommet de l’esprit, de l’unité existentielle que celui-ci, par sa face interne, constitue avec Dieu. Et j’userai du terme Révélation pour désigner, comme on le fait ordinairement, cela qu’il a plu à Dieu, dans sa miséricorde infinie, de faire connaître aux hommes par l’incarnation du Verbe4.
« Si l’on suppose que l’lpsum esse agisse comme cause, ce qu’il fait comme créateur, son effet sera l’esse (l’exister) des créatures. » (E. Gilson, Le Thomisme, première partie, ch. V, I. ↩
L’état peccamineux prive la créature de la Grâce qui assure sa ressemblance à son créateur ; l’intellect agent ne cesse cependant point, dans un tel état, de recevoir le flux existencificateur divin. « Dieu demeure en toutes les âmes, fut-ce celle du plus grand pécheur du monde. » ↩
L’adverbe naturellement entend distinguer l’expérience de Dieu en climat non chrétien de cette même expérience en climat chrétien. Sainte Thérèse d’Avila nous dit que les septièmes demeures de l’âme chrétienne sont celles où les Trois Personnes de la Très Sainte Trinité se montrent à l’âme « par vision intellectuelle » (Château de l’Ame, Septièmes demeures, chapitre premier). C’est dans ce même chapitre, d’ailleurs, que Thérèse expose qu’à son avis, « il l’a quelque différence entre l’âme et l’esprit, bien qu’ils soient une même chose ». ↩
Dans le dévoilement, le voile est ôté et l’être humain voit ce que le voile dissimulait et qui, maintenant, est offert à ses yeux dans toute sa nudité. Dans la Révélation, le sujet acquiert la connaissance, insoupçonnée jusque-là, de quelque chose qu’il lui était impossible d’établir par lui-même. Par le dévoilement, une illusion se perd ; par la Révélation, une vérité est donnée. ↩