Cellier (Fabre:83-97) – Le Nouveau Macpherson

Le Troubadour mérite une étude attentive : c’est l’œuvre la plus importante et la plus originale de notre auteur au cours de cette période, le couronnement de sa jeunesse avant sa conversion à la théosophie. Elle lui a valu par la suite une célébrité posthume dans le midi de la France, puisque ce recueil de vers languedociens fait de Fabre d’Olivet un précurseur des félibres ; et pour le biographe elle a une importance essentielle, puisqu’elle éclaire la personnalité de l’auteur d’un jour singulier ; le Troubadour est en effet une supercherie, une mystification littéraire, qui a sa place à côté des poésies d’Ossian ou de Clotilde, du Théâtre de Clara Gazul.

Ce recueil en deux volumes groupe des textes hétéroclites où voisinent une dissertation sur la langue occitanique et sur les ouvrages des Troubadours, un choix de poèmes comportant tantôt la traduction française seule, tantôt le texte et la traduction, enfin un vocabulaire des mots occitaniques les plus éloignés du français. Ce singulier mélange ne doit pas nous surprendre : Jacoubet a montré que le genre troubadour est un hybride de l’érudition et de la création littéraire. De plus, nous n’avons pas affaire ici à une « supercherie innocente », mais à une mystification savamment appuyée d’un appareil d’érudition. Enfin ce désordre se retrouve dans toutes les œuvres de Fabre d’Olivet ; la Langue hébraïque restituée, les Vers dorés de Pythagore, et l’Histoire philosophique du genre humain nous offriront également, groupées dans un même volume, des études touchant à tout ; cette diversité du reste n’est pas le fait d’un esprit confus, mais s’explique par une pensée foisonnante, par une curiosité infatigable qui veut tout examiner et tout dire.

Dissertação

Dans son introduction et sa dissertation, dans les observations sur son vocabulaire, Fabre d’Olivet se propose un double objectif : rendre hommage aux Troubadours, et défendre la langue d’oc.

Les Troubadours ont opéré une révolution dans les esprits. L’histoire ne connaît rien de plus affreux que les deux siècles qui précédèrent en Europe la renaissance des lettres et l’apparition des premiers Troubadours. Ceux-ci ne parurent pas en vain au milieu de ces désordres ; « ils adoucirent l’esprit sauvage des mœurs féodales, tirèrent le peuple de son fatal engourdissement, ranimèrent les esprits, les apprirent à penser, et firent naître enfin cette aurore de lumières, dont le jour bienfaisant éclaire aujourd’hui les nations ». Il est déjà remarquable que Fabre d’Olivet ne fasse plus du seul siècle des lumières le réformateur et le bienfaiteur de l’humanité. C’est la poésie qui a changé la face des choses ; et il explique ce rayonnement poétique par diverses raisons qui témoignent de la fertilité de son imagination. Il ne faut pas oublier que les plus grands personnages se faisaient honneur du nom de Troubadour. En outre, et ici, Fabre d’Olivet réagit contre les mièvreries du genre troubadour, il ne faut pas croire que les Troubadours fussent « ce qu’on s’est figuré depuis, des chanteurs fades et monotones, ni que leurs chants roulassent tous sur des sujets langoureux ou frivoles …Leurs vers dictés par une vertueuse indignation allaient frapper jusque sous le dais le vice oppresseur et la tyrannie féodale ». Se fondant sur un poème de Pierre de Corbiac, il leur attribue la culture la plus étendue ; avec J. de Nostradamus, il affirme qu’ils ont abordé tous les genres, et il n’hésite pas à prétendre qu’ils ont écrit des tragédies et des comédies. On sait que Fauriel et Fortoul abonderont en ce sens. Mais la raison de ce prestige, il la voit surtout dans un rapprochement que « personne, d’après lui, n’a fait encore ». Le règne des Troubadours fut d’environ 300 ans, du milieu du XIe siècle au commencement du XIVe. Or ce règne coïncide avec celui de la chevalerie. Fabre souligne la concordance des buts poursuivis par les deux ordres : « Comme le chevalier, le Troubadour avait une dame, vers laquelle il élevait toutes ses pensées, et qu’il invoquait sans cesse ; pour l’intéresser en sa faveur, il faisait parade de son talent poétique, comme le guerrier faisait parade de sa valeur. La religion, la guerre, l’amour étaient également les objets sacrés de leur culte ; jamais ni les uns ni les autres ne séparaient ces trois choses… Dieu, l’honneur, les dames. » Son imagination aidant, il en vient à affirmer un accord secret entre chevaliers et Troubadours. « Il paraît certain que ces deux ordres, sentant à quel degré de perversité et d’ignorance l’anarchie féodale avait porté leur siècle, s’étaient concertés ensemble pour en dissiper les vices, l’un en leur opposant les armes de la valeur, l’autre en déployant contre lui le pouvoir de l’éloquence. Cet accord, quoi qu’il n’ait pas toujours été senti, et qu’il ait d’ailleur entraîné avec lui des abus qui sont parvenus à le détruire, n’en a pas moins existé : il suffit d’ouvrir l’histoire du temps où la chevalerie et les Troubadours ont fleuri, pour en demeurer convaincu. » Troubadours et chevaliers recevaient le même accueil, les mêmes honneurs, les mêmes récompenses. Mais son esprit tourné vers l’occulte en voit la preuve la plus éclatante dans l’existence de grades et d’épreuves analogues dans les deux ordres. Signalons à ce sujet que Fabre d’Olivet s’en tient là, et qu’il ne fait aucun rapprochement entre les Troubadours et l’hérésie albigeoise. Cependant M. Tanner dans son anthologie Gnostiques de la Révolution, déclare formellement que l’œuvre de Fabre d’Olivet « révèle l’élément gnostique chez les Troubadours ». Il ne fait que reprendre et résumer les élucubrations de Caillet ou de S. dï Guaita. « Rossetti, Aroux, etc., ont prouvé par leurs étranges découvertes que les Troubadours étaient les grands initiés du moyen âge, et sous le voile de leurs allégories, propageaient habilement la doctrine secrète de la masse-nie du SaintGraal. Les cours d’amour étaient donc des réunions symboliques, où le langage clair employé publiquement cachait un sens philosophique des plus profonds. Il s’agit donc pour pénétrer le sens interne de cet ouvrage, d’aller au-dessous de l’écorce, et de plonger jusqu’au cœur du poème qui contient la fine perle gnostique1. » Ces spéculations ont eu un succès considérable, et il était bien tentant de faire de Fabre d’Olivet « gnostique de la Révolution » un partisan du gnosticisme des Troubadours. Je n’ai pas à examiner ici le bien fondé de cette thèse ; qu’il me suffise d’affirmer que ces considérations sont complètement étrangères à Fabre d’Olivet. Un esprit non prévenu qui, en lisant le Troubadour se laisse aller à son impression, est amené au contraire à s’étonner que notre théosophe n’ait rien soupçonné de ces merveilles. « Epris d’ésotérisme, écrit par exemple Cl.-Ch. Géniaux, il n’a pas su voir dans le langage des Troubadours un sens caché, pas plus que leurs rapports avec le catharisme dont il n’a pas soupçonné l’importance ; pour lui le catharisme n’est qu’une hérésie surgie en pleine anarchie féodale et qui servit de prétexte à l’Eglise pour fonder l’inquisition et affirmer son fanatisme. » Si j’ai cru devoir insister sur un point qui ne mérite pas la discussion, c’est que l’ésotérisme maniaque de ces critiques finit par être irritant, puisqu’il révèle que ceux-ci se permettent de parler du Troubadour sans avoir pris la peine de le lire.

Fabre distingue avec autant d’ingéniosité les multiples causes de la décadence des Troubadours : les recherches stériles de versification, la tendance à l’obscurité, la concurrence étrangère, les rivalités malheureuses entre jongleurs et Troubadours, et, sur un plan plus large, le manque d’unité des provinces méridionales qui facilita l’invasion du français, l’invention de l’imprimerie enfin qui rendit aux auteurs latins et grecs leur éclat. Ici encore il faut noter que nous ne trouvons pas chez Fabre d’Olivet le leitmotiv destiné à une si belle fortune, et qui fut lancé par Ginguené peu de temps après dans le cours qu’il fit à l’Athénée sur l’histoire littéraire d’Italie2, à savoir que la croisade des albigeois fut la cause principale de l’extinction de la poésie troubadouresque.

Pour le linguiste de Ganges, le principal titre de gloire des Troubadours est d’avoir assuré le prestige de la langue d’oc. En bon méridional, Fabre d’Olivet ne peut pas admettre que l’on traite de patois l’idiome qu’il employait dans son enfance. « En plaçant ses productions propres sous l’invocation du Troubadour, note justement E. Ripert, il rattache la langue parlée dans le midi de la France à cette langue provençale illustrée jadis d’une manière si brillante. » Il insiste longuement, et avec un sens très sûr des qualités littéraires d’une langue, sur le génie de la langue méridionale, sur sa richesse en monosyllabes, la souplesse des genres, la diversité des suffixes et des diminutifs, la variété des articles, la simplicité des conjugaisons, la fréquence et la spontanéité des images et des métaphores. « Une pareille langue, dit-il, ne pouvait manquer de produire un effet magique, et c’est ce qui arriva lorsque les Troubadours l’illustrèrent par leurs poèmes3. » Sa défense de la langue d’oc aboutit, comme on pouvait s’y attendre, à l’affirmation de la supériorité du midi sur le nord. Il crée le mot « occitanique », et, par la création de ce mot, adopté, dit-il, pour exprimer à la fois le provençal et le languedocien, et généralement tous les dialectes dérivés de l’ancienne langue d’oc, « cet esprit hardi, note encore E. Ripert, donna l’impression que, malgré les différences de dialectes, il y avait pourtant unité de langue dans tout le midi de la France ». Après avoir souligné aussi la diffusion de la langue d’oc, il fait plus, il démontre que la langue d’oc a pour elle le droit d’aînesse, qu’elle est la tige commune du français, de l’espagnol, et de l’italien. « Les sons mélodieux qu’elle enfanta, ajoute-t-il, tirèrent l’Europe du sommeil léthargique qui la tenait enchaînée dans les bras de l’ignorance. » En piquant l’émulation des peuples voisins, la muse des Troubadours accéléra le réveil des muses étrangères. Enfin, adoptant pour son compte et amplifiant les thèses déjà exposées par l’abbé Papon et Achard, il prend parti dans la querelle des Troubadours et des Trouvères, et affirme que les poètes languedociens ont formé les poètes de langue d’oil. C’est à eux que l’on doit la rime, « cet indispensable ornement de la poésie moderne ». Le Nord et le Midi se disputent cette invention, mais le caractère musical de la rime doit faire attribuer sans hésitation, cette invention aux méridionaux, dont personne ne voudrait contester la sensibilité musicale. En outre, toutes les espèces de vers, toutes les règles de la versification (sauf celles contre le hiatus) ont été inventées par les Troubadours, longtemps avant la Renaissance française. Et Fabre cite à l’appui des textes qu’il est allé chercher dans les manuscrits authentiques conservés dans les bibliothèques publiques. Il s’autorise de ses recherchas pour traiter avec quelque hauteur ses prédécesseurs. Il connaît parfaitement leurs œuvres ; il a étudié de près Sainte-Palaye et Millot, Redi et Crescimbeni, Jean et César Nostradamus. S’il est incapable de soumettre à la critique les Biographies des Troubadours, s’il croit à l’existence des cours d’amour ou de Clémence Isaure, il sait consulter les textes dans l’original et comparer les diverses versions. Il n’a que mépris pour le vocabulaire joint aux œuvres de Goudoulin, parce qu’il est moins un vocabulaire languedocien, qu’un répertoire appartenant à un seul de ses dialectes. Quant à l’abbé Sauvages et à son dictionnaire il s’acharne sur eux avec frénésie : ce dictionnaire est « un misérable galimatias alphabétique où l’ignorance la plus profonde des premiers éléments du langage se manifeste à chaque mot. Non seulement on voit que M. l’Abbé Sauvages n’avait jamais lu les ouvrages des Troubadours dont il osait expliquer la langue ; mais qu’il n’avait même pas cherché à comparer entre eux les divers dialectes modernes, qui auraient pu l’éclairer sur l’idiome ancien. Ce n’est pas en consultant quelques paysans ignorants que l’on restituera la langue d’oc ». Fabre esquisse une méthode : comparaison des dialectes modernes entre eux, comparaison de ces dialectes avec la langue employée par les Troubadours ; mais ici surgit une nouvelle difficulté : il est peu de gens de lettres, même accoutumés à parler le provençal et le languedocien modernes qui puissent les comprendre sans une longue étude. Millot lui-même n’a pu éviter de nombreuses erreurs en les traduisant. On ne pourra étudier la langue des Troubadours que lorsqu’il existera une édition critique de leurs œuvres. On voit par comparaison quelles connaissances, quelles qualités d’érudition et de méthode, Fabre d’Olivet s’attribue à lui-même. Derrière le mystificateur se cache un authentique savant ; et en toute justice, si les hypothèses de l’historien trahissent un excès d’imagination et une absence de rigueur, les intuitions du linguiste révèlent une justesse d’appréciation et une sûreté de jugement qui méritent considération.

A mi-chemin entre l’exposé didactique et la création personnelle, la Cour d’amours offre une évocation de ces fameuses cours, écoles de poésie et de valeur, tribunaux où se jugeaient toutes les difficultés survenues entre les chevaliers, les dames et les poètes, dont Fabre d’Olivet, fort de l’autorité de Jean de Nostradamus, de Caseneuve et de Crescimbeni, ne songe pas un instant à nier l’existence. Raynouard, on le sait, se montrera aussi crédule. Dans ce morceau, qui annonce la Gaule poétique de Marchangy, il enchâsse des textes authentiques des Troubadours dans une trame romanesque, et passe en revue sous une forme attrayante les divers genres et les divers sujets chers aux poètes de langue d’oc. C’est en quelque sorte à la fois une anthologie et une histoire de la littérature romancées. « Il est évident, remarque Fabre qui explique très nettement son intention, que le dessein de notre Troubadour en composant ce poème, a été de lier entre elles quelques poésies dont il voulait conserver le souvenir. Il a réuni dans un même tableau plusieurs sujets différents, et a rapporté à une seule cour ce qui, sans doute, avait été l’apanage de plusieurs. » Le Troubadour, qui a osé ravir un baiser à sa dame, a été exilé en Lozère. Pour se consoler, il évoque la cour d’amours qui se tenait le premier mai au château de Romanin. Après avoir décrit la salle, les dames qui président la Cour, l’entrée des Troubadours, il donne la parole à plusieu s poètes célèbres, Guiraud de Calanson, Pierre Vidal, Jordi, Arnauld de Merveil, Guiraud de Borneil, Perdigon, Clara d’Anduze, Sordel, Bertrand d’Alamanon, etc., qui chantent un de leurs meilleurs morceaux lyriques. Le texte original est cité dans les notes qui suivent. En guise de détente des jongleurs montrent de bons tours. La deuxième partie est consacrée également à l’audition de poèmes, mais d’un genre différent : ce sont des tensons, des éloges funèbres, des sirventes. Les tensons exposent sous forme de chants alternés des cas de conscience sur lesquels le jury se prononce. La troisième partie décrit les arrêts de Cours. A la nuit, après le pas d’armes, la joute et le festin, s’ouvre le parlement d’amour. Divers couples viennent exposer leur différend devant les dames qui constituent la Cour. Le jury après avoir délibéré donne sa sentence. Le morceau s’achève brusquement : le Troubadour rappelé par sa dame se hâte de revenir en Provence. Cette composition ne prétend pas à l’exactitude historique. C’est un bon spécimen du genre troubadour qui se lit avec agrément, et pour une imagination point trop blasée, les cas litigieux de la troisième partie peuvent avoir quelque attrait romanesque. Il nous montre du moins l’idée naïvement imagée que se faisait du moyen âge et de la civilisation méridionale une imagination éprise d’un passé idyllique. Il offrait enfin aux contemporains un heureux choix des œuvres des Troubadours.

Les Amours de Rose et de Ponce de Meyrueis, poème en cinq chants, est, des morceaux qui composent le Troubadour le plus important. Fabre ne nous en donne que la traduction française ; pour quelques passages cependant il cite en note la version originale, écrite en brefs octosyllabes aux rimes redoublées et dont le ton diffère singulièrement de la prose emphatiquement poétique de la traduction. Le poème fut-il écrit entièrement en langue d’oc ? Le félibre Roque-Ferrier prétend, et je m’en rapporte à son jugement, que « le français de notre auteur dissimule parfois assez mal sa métrique et ses rimes languedociennes ». C’est une évocation des mœurs du moyen âge, où sont mises en contraste pour montrer les bienfaits de la chevalerie, les vertus des chevaliers et la barbarie et la mauvaise foi des seigneurs insensibles à l’idéal chevaleresque ; la dévotion la plus pure et la superstition la plus déraisonnable.

L’anecdote n’est pas sans rappeler l’intrigue l’Azalaïs et le gentil Aimar. Nous retrouvons les deux amants traditionnels dont les amours sont contrariées. Hérail a remplacé à la croisade le baron de Roquedol. En échange, celui-ci a promis de marier sa fille Rose à Ponce, le fils d’Hérail ; mais le baron de Roquedol est un félon qui, loin dé tenir sa promesse, a profité de la mort d’Hérail pour s’emparer du château dont Ponce aurait dû hériter, et pour séquestrer sa fille. Ponce à qui le fidèle Nadal, compagnon de son père et témoin des engagements des deux seigneurs, fait ces révélations, décide de pénétrer dans le château de Roquedol. Il se déguise en Troubadour et Nadal en jongleur. Le baron, dont l’avarice a été tentée par les largesses du Troubadour, les reçoit. Dès le crémier regard, Rose et Ponce s’éprennent l’un de l’autre. Alors Ponce révèle son identité et somme le baron de tenir ses engagements ; mais celui-ci le chasse en le traitant d’imposteur. Roquedol inquiet cependant, va demander à une sorcière le moyen de ne pas tenir sa promesse. « Demande le glaive des quatre Algaïs », répond le démon du parjure au cours d’une impressionnante scène de sorcellerie. Ponce, qui a reçu de Rose un ruban, gage de son amour, se présente à Roquedol sous l’armure du chevalier. Il somme encore le baron de tenir sa promesse ; celui-ci feint de céder, mais lui demande comme preuve de sa bravoure, le glaive des quatre Algaïs. Les Algaïs sont quatre géants, fils d’un croisé renégat et d’une sorcière maure, qui habitent dans les Alpes une gorge des Monts Maudits, et dans leur château rendent un culte à l’épée de leur père. Ponce accepte l’épreuve. Après quinze jours de marche, il arrive aux Monts Maudits. Le combat est terrible, mais Ponce finit par triompher ; il tue les quatre géants et s’empare du glaive. Mais alors il apprend que les Sarrazins ont envahi l’Occitanie, et qu’après s’être emparés du château de Roquedol, ils ont tué le baron et enlevé sa fille pour le sérail du féroce Miramolin. Ponce reçoit le commandement des troupes chrétiennes ; il arrête la progression des païens à Ganges, puis les repousse et défait leur armée à Rivesaltes. Il délivre aussitôt les captives, et Rose peut enfin épouser son ami. L’âme du baron félon est sauvée grâce aux prières de Rose et au pèlerinage que le fidèle Nadal fait à Rome.

Cette analyse souligne le côté fade et vertueux de ce roman de chevalerie ; et Fabre devait se fier singulièrement à la naïveté et à l’ignorance de ses lecteurs pour tenter de l’attribuer au Troubadour Perdigón. Ce Perdigón connaît parfaitement l’Iliade et l’Enéide, et même le Télémaque. Ce roman de chevalerie est un poème qui utilise avec une application toute scolaire les procédés traditionnels : style épique et style noble, invocation à la Dame qui joue le rôle de la muse, personnification d’entités abstraites : l’Amour et le Désir, la Perfidie et l’Avarice, songes prophétiques, intervention des dieux, merveilleux. Ces artifices surannés que ne compensent ni la qualité de la prose française, ni l’intérêt du texte languedocien, puisque nous ne le possédons pas, n’en posent pas moins un problème historique intéressant. Ce poème offre en effet une application systématique du merveilleux chrétien. J’ai étudié ailleurs cette question, et j’ai tenté de montrer que le texte de Fabre d’Olivet avait été utilisé par Chateaubriand dans les Martyrs. Je me permets de renvoyer les lecteurs à cette étude4. Il convient cependant de rappeler ici deux aspects de ce merveilleux. D’une part, Fabre l’utilise avec un embarras qui révèle l’incertitude de ses croyances. Il mélange avec un parfait mauvais goût l’Olympe et le Paradis. Roque-Ferrier serait tenté d’expliquer ces maladresses par le protestantisme de Fabre d’Olivet. « Fabre d’Olivet, protestant d’origine et de conviction, nuance parfois ses narrations de couleurs où il est difficile de méconnaître l’influence de Genève et de la Réforme5. » Malheureusement, Roque-Ferrier ne donne aucun exemple à l’appui. Pour ma part, je croirais au contraire que les convictions protestantes de Fabre étaient bien incertaines à l’époque du Troubadour, et que, s’il appelle la Vierge Marie, la Mère d’un homme Dieu ou l’épouse-Mère de l’Eternel, c’est moins le signe de son protestantisme que de son rationalisme ou de ses curiosités de mythographe. On relève dans le poème ce bel exemple d’interprétation rationaliste : la Vierge Marie demande à Saint Michel une armure sacrée qui assurera la victoire de Ponce dans sa lutte contre les Algaïs ; mais cette armure est identique à celle que porte ordinairement le chevalier. D’autre part, il a donné à ce merveilleux une couleur hébraïque très marquée. Fabre d’Olivet, qui a abordé l’étude de l’hébreu, ne manque pas de faire montre de son érudition, soit dans les notes, soit dans le texte même. Il se justifie en prétendant que l’auteur a tiré des traditions hébraïques ses allégories, comme Homère avait emprunté les siennes de la théogonie des Egyptiens. Il fait des sept péchés capitaux des personnages allégoriques qu’il désigne par des noms hébreux dont il explique l’étymologie. Avec les neuf chœurs d’anges de l’église chrétienne, il met en parallèle les dix chœurs distingués par « les juifs modernes », et parmi lesquels figurent Eloïm, les dieux. Il met en scène l’ange de la mort Thémutnael, et Nicaion qui « exerce les vengeances limitées de l’Eternel et règne sur les feux passagers du Purgatoire » ; et Fabre, très content de lui, déclare que ce portrait de l’ange du Purgatoire lui paraît parfaitement neuf et très poétique. Il nous apprend que Hareth, nom donné à l’esprit infernal, était, suivant les mêmes traditions, celui que portait Satan avant sa rébellion. Lorsque Ponce est transporté au ciel, Emuna qui est « le nom sacré » de la Foi, vertu théologale, lui révèle les mystères de la divinité : « les noms ineffables que lui donnent les anges sont Jéhovah comme créateur et père, Adonaï comme fils rédempteur et monarque suprême, et Eloah comme esprit saint, conservateur et régulateur du monde ». Dès cette époque, Fabre attribue une valeur éminente et quasi magique au nom : noms ineffables des personnes divines, mais aussi noms sacrés des habitants du ciel, distincts du nom qu’ils portaient sur la terre. Remarquons enfin qu’on ne trouve pas une fois dans le poème le nom de Jésus ou celui de Christ.

En dehors de ce poème en cinq chants, le Troubadour comprend une dizaine de poésies écrites en dialecte languedocien, et dont Fabre d’Olivet est l’auteur. Ces poésies occitaniques ont pâti du fait qu’elles étaient présentées comme une œuvre du XIIIe siècle. C’est pourquoi les historiens de la renaissance provençale ne leur accordent pas l’importance qu’elles devraient avoir, et font un sort à des œuvres poétiques de valeur moindre, mais qui ne se donnaient pas pour des œuvres de Troubadour. Jacoubet, qui se montre si sévère à l’égard de cette mystification, reconnaît cependant que les vers provençaux du Troubadour sont « fort jolis », mais cette épithète convient-elle exactement à.tous les poèmes du recueil ? Les félibres Donnadieu et Roque-Ferrier ont eu le mérite d’attirer l’attention sur cette œuvre importante qui fait de Fabre d’Olivet un précurseur des félibres. Il est permis au critique, sans pécher par excès de complaisance, d’oublier le piège tendu par Fabre d’Olivet et de considérer son œuvre pour ce qu’elle est en vérité, un recueil de vers languedociens paru au début du XIXe siècle. Le pastiche, en effet, n’est pas réussi, et la langue ni les sujets ne rappellent en rien les œuvres du XIXe siècle. Sa langue est une langue composite : Fabre a dû faire un choix entre les divers dialectes parlés de son temps ; mais s’il a opté pour le languedocien, il s’est écarté de l’idiomatisme populaire ; et si les œuvres des Troubadours lui servent de référence, ici encore il a dû faire un choix entre les divers dialectes, ce choix étant compliqué par l’incertitude et la variété des transcriptions. Qu’il adopte telle forme, ce sera donc par parti-pris d’unification. Que les mots féminins soient terminés en a et non en o, ce n’est pas qu’il se conforme au patois de Ganges et de Montpellier, c’est parce qu’il a choisi, par souci d’ordre, d’employer l’a dans les terminaisons féminines comme en italien, et de conserver l’o bref pour les verbes. « Souvent, dit-il encore, les originaux portaient un même mot écrit de diverses manières ; j’ai choisi parmi ces manières, celle qui m’a paru la meilleure et je l’ai conservée. » Son vocabulaire est très riche, et Fabre n’hésite pas à faire appel aux expressions du terroir. Regrettons qu’aucun philologue n’ait consacré une étude systématique à cet essai, analogue à l’entreprise des félibres provençaux.

Quant aux sujets des poèmes, ils sont des plus variés. Donnadieu insistait avec raison sur ce point : « Fabre d’Olivet n’a écrit qu’un petit nombre de pièces ; mais chacune d’elles apporte un genre particulier, une physionomie différente ; elles ne se rassemblent que par la richesse du langage et le luxe pittoresque des images et du coloris6. » On dirait que pour prouver les ressources de ce nouveau langage, Fabre d’Olivet adopte dans chaque poème un ton différent, puis l’abandonne, une fois la preuve faite.

Il affuble de noms moyenâgeux ses poèmes, mais les thèmes et la facture sont étrangers à l’époque des Troubadours. Il a beau baptiser Sir-vente son poème La Poudestad de Diû , cette paraphrase du livre de Job est une élévation, une méditation d’allure romantique. Le Cant Rouyâu s’inspire d’un épisode de la Divine comédie. La Rena, Pastourela Bousca-geyra, révèle un lecteur attentif de Théocrite et de Virgile. Les Epîtres amoureuses de Phaon à Sapho, et de Sapho à Phaon, sont des Héroïdes où Fabre d’Olivet paraphrase Ovide et l’Ode de Sapho à Vénus. Le genre était en vogue auprès des poètes du xvme siècle, et c’est de tous les morceaux du recueil le plus anachronique7. Fabre d’Olivet en fait l’aveu détourné : « Plusieurs raisons m; portent à croire que celles-ci… ont été faites sur des manuscrits moins anciens que les autres8. » Lai Sazous sont un hommage à Thomson et à Saint-Lambert. La Pichota Masca, Pastourela Vergeyra, nouvelle imitation de Théocrite commence comme les Magiciennes pour finir en Oarystis. Lou Levar d’Anna, Nouvela, la seule pièce du recueil de caractère nettement licencieux, rappelle Boccace.

Si familiarisé que soit le critique avec les caprices de l’inspiration, il ne laisse pas d’être étonné devant le cas étrange de ce mauvais poète français qui se révèle un poète dès l’instant qu’il change d’idiome. S’il est vrai que le propre du poète est de donner « un sens plus pur aux mots de la tribu », Fabre qui n’a pas su se débarrasser des conventions qui faisaient de la langue poétique de son temps une langue figée, a trouvé dans la langue d’oc, des mots gardant encore leur fraîcheur première ; amoureux des mots comme tout vrai poète, il savoure le caractère concret propre à cette langue riche et flexible, le nombre prodigieux d’expressions « dont il est impossible de rendre l’énergie dans aucune autre langue ». Ses galanteries restent mièvres ; Lou Retour d’Elys, avec son Lay d’Amour et son Lay d’Amistad, ne manque pas cependant de charme. Quand il veut rivaliser avec La Fontaine ou Boccace, il apparaît gêné ; la polissonnerie n’est pas son fait. Pour exprimer la passion, l’amour trahi, la douleur des séparations, il s’adresse à Ovide ; et l’on peut s’étonner qu’il n’ait pas songé à emprunter à ses modèles du moyen âge l’accent prestigieux de l’amour courtois. Mais il trouve pour évoquer la vie des paysans, la frugalité des mœurs rustiques, des expressions chaudes et colorées qui font de lui un excellent poète bucolique ; et la chose est d’autant plus frappante que le texte languedocien contraste avec la traduction française, qui affadit toujours l’original, et où l’on retrouve les mêmes erreurs : la peur du mot propre, la peur des métaphores, la peur de la simplicité. Sa peinture est non seulement réaliste, mais précise. Dans Las Sazous, dans La Rena, c’est le paysan cévenol qui est dépeint avec son vin, son huile, ses châtaignes

(« Que dins la padela traûcada,

S’afachoune la brazucada »),

ses feux de sarment en hiver, ses étés pleins de cigales. La Pichota Masca qui énumère les superstitions campagnardes, est un excellent document folklorique. Mais il faut mettre hors de pair son Sirvente, La Poudestad de Diû, qui est un poème d’un beau souffle, et dont le style, comme le dit Fabrè d’Olivet lui-même, « est remarquable par un mélange de simplicité et de hardiesse, de naïveté dans les mots et de pompe dans les images, qu’il est très difficile de conserver en français ». Après avoir convié dans un préambule majestueux la nature entière à faire silence pour qu’il puisse chanter son hymne à l’Eternel, le poète somme l’incrédule, qui voit dans l’univers une production du hasard, de le suivre sur un nuage d’où ils contempleront le monde dans sa magnificence. Le poète passe en revue les merveilles de la nature, depuis les astres dont le créateur a parsemé le ciel :

« Lou solelh, rey luzen, soun imatje mourtel ;

Et la luna, trà las estélas,

Pastourela aniétzada al mietz de soun troupel »,

jusqu’aux moindres créatures, jusqu’à l’homme. Cette contemplation suffit à prouver que tout a pour principe une cause première, que la main de l’Eternel guide l’univers dans la route immuable qu’elle lui a tracée. Et le poète croit entendre une voix qui presse de questions l’incrédule ; ici il’paraphrase avec éloquence le sublime questionnaire du livre de Job : « Où étais-tu à l’aurore du premier jour ? »…

« Has-ti ditz a l’hyver de counouysse sa plaça ?

Al dous printems de naisse é d’espélir les flous ? »

L’incrédule n’a plus qu’à se taire et à aller à la recherche de ce Dieu, dont son âme a pressenti l’existence. Dans le cœur du Troubadour saisi d’enthousiasme, une voix retentit : « Dises vrai : perqué siès tu, Diû z’es. » La Poudestad de Diû, écrivait Roque-Ferrier, « est par la hauteur, la puissance et la variété grandioses des images, la seconde pièce de la langue d’oc après les Stances de Goudelin sur l’assassinat d’Henri IV ».

Le Troubadour fut publié avec succès, comme l’atteste Raynouard ; la mystification de Fabre d’Olivet ne fit pas cependant autant de dupes que les Poésies de Clotilde. Aussi éprouverait-on quelque gêne à voir la sévé-. rite avec laquelle Jacoubet traite l’auteur du Troubadour, si cette rigueur n’impliquait en définitive un profond respect pour la recherche scientifique. Il oppose, d’une part, sur le plan littéraire, et avec une partialité évidente en faveur de la deuxième, le pseudo-Troubadour et la pseudo-Trouveresse, et prétend que malgré tout, les élucubrations de Clotilde présentent plus d’intérêt comme échantillon littéraire que comme mystification9. D’autre part, il semble profondément choqué par l’immoralité de la mystification du poète languedocien, qu’il prend comme un exemple typique de la fâcheuse influence exercée sur l’esprit scientifique par le genre troubadour ; et il sait gré à Raynouard d’avoir fait en quelque sorte œuvre de salubrité publique en dénonçant implacablement en 1824 cette tentative de faux : « Il arrive une époque, déclare Raynouard, où l’histoire littéraire doit interposer son autorité et restituer chaque ouvrage à son véritable auteur, et surtout avertir de ne pas accorder aux pièces pseudonymes une date et un rang auxquelles elles n’ont pas le droit. » Mais Jacoubet est le premier à reconnaître que personne n’était dupe10, et de fait, dès 1804, Laya dans le Moniteur, dénonçait la supercherie, et notait avec juste raison que le pastiche du pseudo-Troubadour était moins réussi que ceux d’Ossian et de Clotilde. Même si l’on ne prend pas au sérieux l’érudition de Fabre d’Olivet, il y avait dans ces deux volumes de nombreux renseignements ou documents que pouvaient utiliser ceux qui s’intéressaient à la littérature méridionale, sans qu’ils admissent pour cela l’authenticité des poèmes. C’est ce qu’on fait entre autres Marchangy et Sismondi. Marchangy dans ses notes désigne le Troubadour sous le titre : « imitation de poésies occitaniques », mais il sait à l’occasion lui emprunter tel détail dans le 32e récit de sa Gaule poétique, où il compile toutes les sources relatives aux Troubadours et aux Trouvères. .Et j’aurais aimé voir Jacoubet signaler que, dans son 33e récit : La Cour d’Amour de Romanin, Marchangy plagie sans vergogne le cadre imaginé par Fabre d’Olivet dans sa Cour d’Amours. Sismondi dans sa Littérature du Midi de l’Europe, cite la chanson de Clara d’Anduse dans la traduction de Fabre d’Olivet ; il reprend p. 126 ses remarques judicieuses sur les caractéristiques de la langue d’oc; et renvoie à la dissertation des poésies occitaniques. Sans doute regrette-t-il que Fabre d’Olivet se soit fourvoyé et n’ait pas consacré à la langue d’oc une étude philologique pour laquelle il était tout désigné. C’est indubitablement à l’auteur du Troubadour que s’adresse l’allusion suivante : (la collection établie par Curne de Sainte-Palaye exigerait un travail critique). « On annonce, il est vrai, les ouvrages de quelques savants distingués sur l’influence des Troubadours en Europe. Jusqu’à présent il n’en a paru aucun, aucun texte n’a été publié ; on ne trouve que de loin en loin, dans des ouvrages de but différent, quelques fragments dispersés, qui peuvent faire connaître les formes de la versification provençale, mais qui ne familiarisent point assez cette langue pour qu’on puisse en goûter les beautés. »

Pour conclure ce débat, je dirai que, si l’on ne peut nier que Fabre d’Olivet ait cherché à mystifier ses lecteurs, s’il a multiplié les précautions” comme nous le verrons bientôt, pour faire croire à son rôle de traducteur de textes originaux à lui confiés, il ne s’est pas attaché à ce qui peut sembler la précaution élémentaire, c’est-à-dire à donner aux textes supposés l’apparence des textes authentiques. Il s’est intéressé à la poésie des Troubadours, en philologue, en défenseur de la langue d’oc ; mais il n’a pas été capable d’apprécier l’intérêt et la beauté de leurs œuvres ; il a su voir la nécessité d’un travail critique pour l’éditeur éventuel des poésies du moyen âge ; mais le prestige du « Trobar Clus » cette poésie abstraite, obscure et dense dont l’éclat n’a été senti que de nos jours, est resté pour lui lettre morte. J’en vois la preuve dans le passage d’une lettre adressée par lui à Sismondi en 1813. « Pour entendre (les manuscrits des Troubadours), il faudrait d’abord les restituer, mais à vrai dire je ne crois pas que la chose en vaille la peine. » Nous n’avons donc pas à nous étonner que ces pastiches ne soient pas réussis ; Fabre n’a pas songé à faire des pastiches. Les Amours de Rose sont une reconstitution historique qui l’a intéressé pour l’exactitude du détail, et, dans ses poèmes en langue d’oc, il a voulu montrer que cette langue se prêtait à la poésie : « les originaux des poésies occitaniques prouveront que non seulement l’idiome occitanique pouvait se plier à tous les tons, mais encore qu’il était capable de s’abaisser ou de s’élever suivant les sujets auxquels il était employé ». Ici encore le philologue l’emporte, mais ce philologue s’est révélé un poète, non pas un Troubadour mais un félibre. Raynouard lui-même, reconnaît que ces poèmes « ont un mérite sous tous les rapports ». Le Troubadour tient donc une place importante dans l’histoire littéraire ; non pas tant par ce qu’il prétend rappeler, que par ce qu’il annonce. C’est une œuvre hybride où n’est pas encore faite la distinction entre la recherche scientifique et la fantaisie littéraire ; où se mêlent l’étude philologique des textes du moyen âge, le genre troubadour, et la poésie languedocienne moderne. Parce que c’est une œuvre hybride, on ne lui a pas fait la place qu’elle mérite dans l’une ou l’autre de ces branches ; mais : 1) Elle a signalé à l’attention des savants la nécessité d’une édition critique des Troubadours, la vitalité de notre langue d’oc, l’importance des œuvres poétiques du moyen âge. 2) Elle a établi la liaison entre les deux époques de grande vogue du genre troubadour. Les Amours de Rose ont pu contribuer à la floraison de ces récits à demi poétiques à demi romanesques qui se sont multipliés de 1805 à 184011. 3) Elle a fait de Fabre d’Olivet et c’est là le point le plus important, un précurseur de la Renaissance provençale. Avec les frères Rigaud les Azaïs, A. Tandon, Delafare, Alis, etc.. il prend part à sa manière à cette renaissance languedocienne qui se dessine dès le début du xixe siècle, et qui, déclarait Roque-Ferrier, permettrait au Languedoc de revendiquer en sa faveur une « renaissance antérieure à celle de la Provence, et supérieure à la sienne en ce qui concerne la pureté de l’idiomatisme et la variété du verbe local. »

Mystification

Pourquoi Fabre d’Olivet a-t-il eu l’idée de faire de son Troubadour une mystification, alors que rien ne s’opposait à ce qu’il publiât ses poésies occitaniques comme une œuvre personnelle ? La réponse semble aisée. Pour E. Ripert, c’est d’après une supercherie assez commune en ce temps-là, qu’il donna ses poésies comme des œuvres du XIIIe siècle. F. Baldensperger et Jacoubet ont montré que la supercherie était inhérente au genre Troubadour : « Ni les auteurs n’ont jamais été bien scrupuleux sur le moyen d’attirer le public, ni celui-ci, une fois attrapé, bien sévère à ces farces littéraires. » C’est Tressan, en particulier (après Nostradamus) qui, par le succès de son Ursino, a amalgamé l’esprit de mystification au genre troubadour. « Les progrès des études historiques ou philologiques, loin de contribuer au début à réagir contre cette tendance, eurent le paradoxal résultat de la favoriser. » « En cette période où le sens historique et le goût de l’agréable ne distinguent pas leurs exigences suivant les œuvres considérées, écrit très justement Jacoubet, l’érudition encore un peu hésitante elle-même se laissait parfois tenter à la supercherie, qui, à la place du pastiche avoué ou de l’œuvre embellie, faisait passer pour ancienne une œuvre créée de toutes pièces. » Fabre d’Olivet, homme de lettres désireux de parvenir et néophyte en linguistique, a pu être tenté par cette façon ingénieuse d’attirer l’attention, et peut-être le jeune méridional n’a-t-il pas été fâché de se divertir aux dépens du public.

Mais pour le psychologue les choses ne sont pas aussi simples. Il y a mystificateur et mystificateur. Le type classique est celui du mystificateur froid, du pince-sans-rire tel qu’on se plaît à imaginer Mérimée. Mais précisément Fabre d’Olivet ne relève pas de ce type courant. Il incarne au contraire, le mystificateur enthousiaste ; ce méridional voit dans sa supercherie une grande pensée, « un mirage ». Il déclare dans la Langue hébraïque restituée (Tome II, p. 7) : « J’ai dans ma jeunesse consacré à la mémoire des Troubadours occitaniques un ouvrage où j’ai essayé de faire pour eux ce que Macpherson avait déjà fait pour les Bardes du Nord. » Conséquence singulière du succès d’Ossian! On sait le prestige exercé par Ossian sur les contemporains de Fabre d’Olivet et sur Bonaparte tout le premier. Fabre d’Olivet a rêvé d’être le Macpherson français, de tirer de l’oubli ses compatriotes du moyen âge et d’imposer aux esprits de son temps les rêves et les décors, l’univers des Troubadours. Cette perspective de gloire transformait un misérable jeu littéraire en une entreprise digne de tenter une imagination chimérique et ambitieuse.

Autre remarque : avec le Troubadour, Fabre d’Olivet n’en était pas à son coup d’essai : ses œuvres précédentes ont plus ou moins l’aspect d’une mystification. Azalaïs est déjà présenté comme une traduction du provençal. Au début de son roman, Fabre raconte que, lorsqu’il se trouvait à Ganges en 1792, le peuple pillait les châteaux. Un jour qu’il assistait à l’incendie d’un manoir, les pillards découvrirent dans une chambre taillée en plein roc un lot de vieux papiers. Les révolutionnaires s’amusèrent à jeter en les éparpillant les liasses. Par hasard, Fabre ramassa un manuscrit à l’écriture gothique ; c’est ce manuscrit qu’il traduit avec plus ou moins de fidélité.

Le Savant de Société n’est pas seulement publié sous le pseudonyme de Mme de B. Fabre imagine tout un roman. La jeune femme qui est censée écrire de livre, explique dans une préface que jeune personne de dix-huit ans, elle aime à écrire et à parler ; mais elle constate qu’il n’y a pas de différence entre paraître savant et l’être ; elle décide donc d’écrire tout ce qu’elle entendra ou verra dans la société. Elle ne songe pas à écrire un roman (Fabre s’est toujours montré sévère pour les romancières) : « Ne sais-tu pas que la femme qui fait des romans perd tous ses droits à la franche gaîté, à l’aimable folie ; si elle descend un instant du trépied romantique (ceci est écrit en 1800) pour être comme tout le monde, on l’accuse de faire faire ses livres par d’autres. » Elle fera donc tout bonnement un recueil de jeux innocents.

Les Lettres à Sophie sur l’histoire sont également une correspondance factice. Sa sœur Sophie, à qui il avait déjà donné des leçons de géographie, lui a demandé des leçons sur l’histoire des premiers âges du monde. Il lui donne donc des leçons par lettres. La sœur, malgré le secret promis, a montré ces lettres à des amis qui ont complimenté l’auteur ; celui-ci, à son tour, a soumis l’ouvrage à un connaisseur de ses familiers qui l’encourage à publier12.

Tout cela est bien innocent et peut-être ne convient-il pas de lui accorder tant d’importance. Il est facile d’objecter que ces procédés, lettres factices et pseudonymes, étaient monnaie courante à l’époque, qu’il était de tradition pour les auteurs de romans et de nouvelles, et cette tradition n’est pas morte, de donner à leurs fictions plus de crédibilité en recourant aux naïfs subterfuges de documents trouvés, de confidences ou de confessions recueillies par l’auteur. On pourrait dire encore que notre apprenti prosateur par une bizarre erreur de goût, a cru que ces déguisements étaient une loi du genre et qu’il prouvait une vieille connaissance des secrets du métier en usant à plaisir de ces artifices. Peut-être faut-il voir là un effet des leçons de Delisle de Sales. Celui-ci avait publié, nous le savons, Sa République sous le nom de Platon ; et sa Psyché était présentée comme un manuscrit retrouvé. Lorsqu’en 1804 il donna une nouvelle édition de la Philosophie de la Nature, portant à dix volumes l’ouvrage qui jusque-là n’en comprenait que sept, Courvoisier, étudiant dans son introduction les changements apportés dans la nouvelle édition, souligne ceci : « l’amélioration qui sera la plus sentie est l’idée d’avoir lié à l’histoire de la découverte de manuscrits antiques, qui suit la dédicace, tous les tableaux philosophiques isolés, qui ont tant contribué au succès de ce livre, de manière qu’ils semblent tous les anneaux d’une même chaîne : cette idée qui me semble infiniment heureuse, et qu’on appréciera encore mieux par les amours et les malheurs d’Eponine pendant la Révolution française, ajoute à l’intérêt en donnant une sorte d’unité dramatique à tout l’ouvrage. » On voit que Delisle de Sales vieillissant avait accentué l’aspect romanesque de son œuvre philosophique (était-ce pour lui infuser une nouvel jeunesse !) Il suppose que la Philosophie de la Nature a pour base des manuscrits antiques qui sont passés de main en main ; l’histoire se complique, en outre, des avatars et des incarnations successives d’Eponine, fille de Platon et épouse de Delisle de Sales ! On peut supposer que le protecteur de Fabre d’Olivet considérait cette sorte d’embellissement comme le fin du fin en matière littéraire, et qu’il encouragea son disciple à l’imiter.

Ces raisons ont du poids ; mais elles n’interdisent pas, me semble-t-il, de souligner le fait que, dans chacune de ces œuvres, Fabre d’Olivet se laisse aller à des écarts d’imagination. Lors même qu’il aurait considéré la mystification comme un procédé littéraire ou une licence poétique, il n’en est pas moins certain que l’usage systématique de ce procédé constitue un symptôme que doit relever le psychologue. Et ces remarques valables pour Fabre d’Olivet s’appliquent aussi bien à Delisle de Sales.

Quoi qu’il en soit, le Troubadour est encore une mystification et beaucoup moins innocente que les précédentes. Le lecteur ne peut être que frappé par un luxe surabondant de précautions ; la toile dans laquelle il doit tomber est tissée avec une minutie extraordinaire. Fabre se donne comme le simple éditeur des poésies occitaniques : s’il y a imposture, elle est le fait du mystérieux inconnu qui lui a remis les textes. Pour accréditer l’existence de cet inconnu, il imagine tout un roman ; et par une feinte suprême, il semble sur le point de reconnaître la supercherie à laquelle il a eu recours dans Azalaïs : « Il y a quelques temps, écrit-il dans son introduction, que, voulant aussi paraître dans la carrière romantique où les écrivains de toutes les nations se précipitaient en foule, je publiai un roman intitulé Azalaïs et le gentil Aimar ; la mode était alors que ces sortes d’ouvrages ne devaient pas être originaux ; ceux qui se mêlaient d’en écrire, les annonçaient toujours pour des traductions13. » Que cette apparente sincérité ne nous trompe pas ; ces aveux sont étudiés, comme la suite le prouve. « Je n’eus pas absolument besoin de recourir à la feinte pour me conformer à l’usage ; car, dans un voyage que j’avais fait dans le midi de la France, vers le commencement de la Révolution, j’avais été le triste témoin des vengeances exercées par la licence contre la féodalité ; j’avais vu l’incendie ravager les antiques châteaux, et le pillage en disperser les archives ; et comme le hasard avait voulu que quelques vieilles chroniques me tombassent entre les mains, j’avais pu, en les liant les unes aux autres, mettre en tête de mon livre, sans une trop forte imposture, qu’il était traduit du provençal. » (Mais l’existence de ces chroniques n’en reste pas moins une imposture.) « Parmi mes lecteurs, si quelques-uns doutèrent de l’authenticité de ma traduction, quelques autres, en récompense, y ajoutèrent une foi implicite et portèrent même cette prévention jusqu’à vouloir arrêter les éloges que l’indulgence adressait à l’auteur, en assurant que, puisqu’il n’avait pas le mérite de l’invention, tout le reste devait lui être compté pour peu de chose. Cependant l’histoire d’Azalaïs, toute faible qu’elle était, mais grâce à l’empreinte originelle dont elle conservait les traces, obtint quelque succès dans le midi de la France. » C’est ainsi que le 21 floréal an VIII (nous voici en plein roman), un montpelliérain qui signait Rescondut, adressa à l’auteur d’Azalaïs une lettre et un paquet. Le paquet contenait plusieurs cahiers qui étaient la copie de quelques manuscrits très anciens. « Mes ancêtres, disait la lettre, ont anciennement habité la Gévaudan. Ces poésies leur avaient été léguées par l’un des plus habiles Troubadours du temps, natif de l’Espérou, petit village de leur dépendance. » Ce Troubadour est peut-être Perdigon, suggère Fabre dans ses notes. Une fois posée l’existence de Rescondut, il va, avec une apparente rigueur qui ne sert qu’à authentifier l’imposture, pousser l’astuce jusqu’à faire son propre procès. « Je me persuadai d’abord que la composition des vers qu’ils renfermaient, à un nombre très considérable, ne pouvait appartenir qu’à un ancien Troubadour, et qu’il était impossible qu’un moderne ait possédé à ce point la connaissance de leur génie et de leur langue ; cependant après de mûres réflexions, je parvins à croire que le mystérieux Rescondut pourrait bien n’avoir été, à l’égard des manuscrits occitaniques, que ce qu’il est presque certain que l’éloquent Macpherson a été à l’égard des poésies galliques ; c’est-à-dire qu’il pourrait bien n’avoir trouvé que des lambeaux épars qu’il aurait arrangés, liés ensemble, étendus peut-être en conservant l’esprit, le ton et les couleurs de son modèle. » Et il étudie de l’air le plus sérieux, l’authenticité et l’ancienneté des divers morceaux. Ici, il admet une contamination ; là, il pense avoir affaire à des textes plus modernes, parce qu’ils sont trop parfaits de forme. Ailleurs, il déclare : « Un savant italien auquel j’ai communiqué la plupart de ces manuscrits, a prétendu avoir vu cette Pastourelle, ainsi que plusieurs des pièces fugitives qui terminent la seconde partie de ce recueil écrites en langue toscane et conservées manuscrites avec beaucoup d’autres poésies, dans une bibliothèque particulière d’Italie. Comme je n’ai point vu les poésies italiennes, je ne puis prouver ma pensée à cet égard. » Il éprouve un plaisir manifeste à jouer son rôle. Tantôt il fait indirectement son propre éloge ; tantôt il critique sa traduction pour faire mieux valoir le texte languedocien ; tantôt il se moque de son poète avec esprit : « Le Troubadour passe ici un vers d’Ovide que je le soupçonne de n’avoir pas entendu. » S’amuse-t-il ? Ce serait outrer le pédantisme que de le nier ; mais cette « autocritique » humoristique, qui est du reste le plus souvent une autoadmiration, représente une forme de narcissisme, où l’individu tend à nier sa personnalité, poussé par l’étrange plaisir de se traiter lui-même comme un objet.

Il y a plus grave, et Raynouard dénonce le fait dans son article de 1824 : « Dans l’un des (ouvrages prétendus traduits (il s’agit de la Cour dAmours), il mêle des passages tirés du manuscrit 1726, qui contient des poésies des Troubadours ; et par ce mélange de pièces véritables avec les pièces supposées, il parvient encore plus aisément à séduire la crédulité des littérateurs mêmes ; il fit plus : comme la langue des anciens Troubadours dont il citait les passages dans ses notes, eût offert quelques différences, quelques nuances qui, par leur disparate, auraient peut-être facilité les moyens de reconnaître la supposition des pièces produites, il abaissa le langage de ces Troubadours à l’idiome dont il se servait lui-même ; et par ce moyen, il devint beaucoup plus difficile de douter de l’authenticité des productions. »

Enfin, et nous touchons ici au point critique, le texte des poésies occitaniques est précédé d’une dissertation, et suivi de notes, dans lesquelles Fabre s’attache à justifier historiquement les anachronismes et les bizarreries du texte. Comme l’indique avec perspicacité Laya dans son article de 1804, « l’auteur combine ingénieusement son système par son ouvrage, son ouvrage par son système, protégeant ainsi l’un par l’autre ». Mais dans sa dissertation, Fabre d’Olivet se prend au sérieux, il prétend faire œuvre d’historien et de linguiste. Il est sûr, et il se vante d’enrichir de notions nouvelles la question encore mal éclaircie, sinon déjà controversée, des Troubadours, de leur langue, de leur versification, de leur savoir, de leur morale et de leur religion. Mais pour illustrer et justifier ses thèses, il utilise ses poésies occitaniques. Ainsi donc il peut croire qu’une thèse est justifiée par des textes qu’il a forgés lui-même. On est prêt à partager l’indignation de Jacoubet devant cette absence de scrupule. Il n’est même pas possible de penser qu’il avait de la recherche scientifique une idée si peu rigoureuse qu’il se permît sans scrupule une telle licence. Il avait, nous l’avons vu, un sentiment très juste des insuffisances de ses prédécesseurs, et des lacunes à combler. Plaisanterie de jeune intellectuel, dira-t-on ; mais la plaisanterie passe les bornes, et c’est cette démesure qu’il convient d’expliquer. L’explication qui découle de la présente analyse est que nous avons affaire, non pas à un mystificateur, mais à un mythomane. Certes, tout mystificateur est un mythomane plus ou moins avoué ; mais le plus ou le moins sont d’une importance capitale, s’il est vrai qu’il n’y ait pas de solution de continuité entre le normal et le pathologique. Sans tomber dans la mythomanie, il semble permis de diagnostiquer dans le cas présent, sinon un déséquilibre mental, du moins une déformation de l’imagination assez troublante. Seul un mythomane peut vouloir justifier une thèse par des arguments, voire des documents dont il est le premier à connaître la fragilité. Il convient de relever ici d’autres traits, qui viennent renforcer le diagnostic. A côté du simple plaisir de « fabuler », on discerne des tendances plus secrètes, plus complexes et, si l’on veut, plus inquiétantes. J’ai déjà relevé l’état d’esprit romanesque qui le conduit, soit à remanier son passé, soit à rechercher un monde imaginaire qui le consolera du monde présent : ce n’est pas vers l’avenir qu’il se tourne, mais vers les origines les plus lointaines, où tout semble possible, puisque l’imagination y règne en souveraine. Non seulement il s’imagine volontiers autre qu’il n’est ; mais à l’extrême, ils tend à nier sa propre personnalité : qu’il se traite comme un objet, ainsi que nous le notions plus haut ; qu’il se plaise à passer inaperçu, à ne plus exister aux yeux d’autrui (c’est l’artifice de son journal l’Invisible ; il est celui qui voit sans être vu) ; ou qu’il enveloppe de secret et de mystère son existence et ses recherches, comme nous aurons l’occasion de le constater à maintes reprises. Sa mythomanie ne fera que s’exaspérer avec ses échecs successifs, et aboutira à une manie de la persécution qui voudra expliquer l’insuccès de ses travaux par des complots extravagants.

Arrivés aux termes de cette analyse, retenons surtout sur le plan intellectuel les deux traits essentiels qui constituent une constante de cet esprit étrange : je veux dire l’alliance paradoxale d’une minutie maniaque et de l’enthousiasme ; une érudition prodigieuse au service d’une imagination déréglée, telle est la caractéristique de Fabre d’Olivet. Pour l’instant, un reste de’ prudence l’amène à se ranger encore parmi les mystificateurs ; mais vienne le temps où il n’aura plus goût à duper ses lecteurs, il connaîtra le destin réservé au mythomane sans humour, il sera sa propre dupe.


  1. Cf. Caillet : Bibliographie des sciences psychiques, article : Fabre d’Olivet. 

  2. Le cours professé de 1802 à 1806 fut publié de 1811 à 1819. 

  3. Troubadour. Tome I, p. XIV. 

  4. Cf. art. cit. R.H.L.F. 

  5. Cf. Roque-Ferrier. Armanac mount-pelieirenc de 1896. 

  6. Cf. Donnadieu. Les précurseurs des félibres. 

  7. Clotilde de Surville passait également pour avoir traduit Sapho. 

  8. Roque-Ferrier remarque que les Epîtres amoureuses sont d’un idiomatisme inférieur. 

  9. Mais a-t-il étudié sérieusement l’œuvre de Fabre d’Olivet ? Dans sa thèse (p. 317) il appelle ce recueil : Les Troubadours, poèmes occitaniques, alors que le titre authentique est: Le Troubadour, poésies occitaniques. 

  10. Cependant Raynouard assure que les poèmes de Fabre d’Olivet « ont trompé des littérateurs qui les ont cru originaux et cités comme tels ». 

  11. Les Amours de Rose seront mis en vers français sous le titre « Le Chevalier chrétien », par Monter en 1844 (nouvelle édition en 1866). Monter a traduit également en vers français la Poudestad de Diû. 

  12. Bibliothèque des romans, si elle n’encourageait pas ses rédacteurs à l’imposture, ne leur donnait pas moins l’habitude fâcheuse de signer de leur nom des adaptations d’oeuvres dont ils n’étaient pas les auteurs. Entre signer ce qui est l’œuvre d’autrui, et attribuer à-autrui l’œuvre qui vous appartient, la distance n’est pas si grande. 

  13. Ceci est écrit vers 1802, le passage est tiré de la préface ; mais il est remarquable que dans les Amours de Rose, Fabre prête au Troubadour cette phrase : « Veux-tu que j’achève de colorer à tes yeux le reste de ce tableau romantique encore caché dans la nuit des temps ? ». Il semble donc que le mot romantique pris ici dans son sens tittéraire, soit l’équivalent de moyenâgeux. 

Fabre d’Olivet